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tions vers Rome, c’est une menace de crise religieuse; c’est une nouveauté périlleuse pour l’Italie elle-même, dupe d’une illusion de grandeur, aussi bien que pour la France et l’Europe, et peu s’en faut que M. Proudhon, en bon serviteur du pape et de l’ordre public européen, n’ensevelisse sous les flots de son ironie ces pauvres libéraux français qu’il dépeint si gaillardement comme «enchaînés au caroccio de l’Italie une et indivisible. » La vérité qui éclate dans ces contradictions d’opinions excitées autour du nom de l’Italie, c’est qu’il y a en présence deux politiques : l’une qui n’eût point fait la guerre de 1859, et qui, depuis qu’elle est finie, est occupée à en combattre les conséquences en s’armant de toutes les difficultés nées d’une situation si prodigieusement nouvelle; l’autre qui a fait la guerre, et qui, après l’avoir faite, se sent évidemment liée à la renaissance d’une nation sans subordonner ses sympathies aux procédés de cette renaissance et à la forme définitive sous laquelle elle apparaît. La vérité est encore que tous ces esprits rassemblés par un lien d’hostilité contre l’unité de l’Italie, théoriciens plus ou moins déguisés de réaction, démocrates d’humeur goguenarde et rêveurs de combinaisons impossibles, qui se posent modestement en interprètes souverains de la pensée française, sont peut-être ceux qui se méprennent le plus sur le caractère de la politique de la France, sur les principes de son action et sur ses intérêts. Au fond, qu’a donc fait la France, qu’a-t-elle voulu et qu’a-t-elle pu vouloir ou permettre sans être infidèle à elle-même?

Il y a, si je ne me trompe, ici une question de responsabilité à préciser. Non sans doute, et il est bien facile de se retrancher dans ces réserves de diplomatie, la France n’a point pris sur elle, en allant au-delà des Alpes, la responsabilité directe d’une transformation de l’Italie. Elle a fait la guerre par un sentiment énergique de son intérêt propre et par un mouvement de sympathie supérieure pour une cause nationale et libérale. Elle s’est arrêtée dans la guerre là où elle a cru voir que son intérêt le plus direct s’arrêtait, et que sa sympathie allait s’engager trop avant dans une révolution de pouvoirs intérieurs déjà visible. En un mot, elle s’est retirée de la lutte, elle s’est dégagée à l’heure voulue par elle, laissant le Piémont agrandi d’une province sous sa garantie, l’Italie libre pour tout le reste, proposant ses idées sans les imposer, rentrant en quelque sorte dans le rôle d’une médiatrice en face d’un mouvement dont elle déclinait la direction, et depuis, à mesure que les événemens se sont déroulés, elle a suivi le même système, caractérisant sa situation et limitant sa responsabilité par des réserves, se dégageant diplomatiquement tantôt vis-à-vis de l’Autriche, tantôt vis-à-vis de l’Italie. Lorsque la question de l’annexion de l’Italie