Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait l’instinct, et un orateur piémontais, alors secrétaire-général du ministère des affaires étrangères, M. Carutti, laissait éclater le mot de cette situation en disant dans un mouvement d’éloquence émue : « C’en est fait! sans Nice, sans la Savoie, il n’y a plus de Piémont; finis Piedimonti ! Mais après lui avoir accordé un juste tribut de regrets, je me relève et je salue l’Italie à sa naissance. » Ce jour-là marquait le terme d’une évolution politique qui se poursuit depuis trois siècles, depuis Emmanuel-Philibert, et faisait de la couronne des ducs de Savoie une couronne exclusivement italienne; ce jour-là, la question des frontières, cette question des Alpes, si souvent débattue, était tranchée, et la fin du vieux Piémont laissait peut-être entrevoir dès lors le moment où Turin, la ville placée au pied des monts, la ville garde-frontières, cesserait d’être la capitale de cette Italie dont on saluait la naissance.

Que cette révolution si rapide et si profonde, si facile en même temps dans certaines parties de la péninsule, ait été sur d’autres points mêlée de violences partielles, de coups de fortune, de réactions de l’esprit municipal, qu’elle rencontre encore des difficultés d’organisation, d’affermissement, qu’elle ait à lutter tout à la fois avec des souvenirs, avec les espérances qu’entretient une œuvre inachevée, avec tous les embarras d’une crise d’assimilation, ce n’est point assurément ce qui peut étonner. Au fond cependant, où sont ces difficultés? Elles ne sont ni dans la Lombardie, annexée par la guerre, ni dans la Romagne et la Toscane, annexées par la volonté des populations, ni à Modène et à Parme, ni même dans l’Ombrie et dans les Marches, enlevées par un de ces actes d’audace qui déconcertent la diplomatie. Dans ces provinces, dans les dernières conquises surtout, c’est à peine si la nécessité d’une force militaire se fait sentir, et au lendemain même de l’annexion il y a eu des momens où il n’y avait pas un soldat régulier dans les Marches. Les gardes nationales des diverses parties de la péninsule ont été appelées à concourir à l’œuvre commune, et se sont mêlées dans l’action. La loi la plus rigoureuse, quoique la plus inévitable du régime nouveau, la conscription, a été appliquée partout sans trouver de résistance. En un mot, on a vu s’accomplir dans le nord de l’Italie une révolution contre laquelle ne se sont élevées du sein du pays que quelques protestations isolées, sans écho, et qui n’a été signalée que par un excès populaire dont l’opinion universelle s’est émue, un meurtre à Parme. Les difficultés ne sont donc réelles et sérieuses que sur un point, à Naples, où elles se manifestent à la fois dans ce qu’elles ont de plus obscur et de plus criant; mais ici, qu’on ne s’y trompe pas, le problème est d’un ordre exceptionnel : il ne tient pas au regret du passé, à la vitalité de ce qui est tombé dans un