Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les conditions de vie, que s’est-il passé? Rappelez-vous cette aventure étrange, Garibaldi entrant avec quatre hommes dans Naples et trouvant une armée décomposée, un jeune roi en fuite, qui allait s’enfermer effaré dans une forteresse. Je ne veux ici que remettre en lumière quelques-uns des traits de cette révolution jaillissant en quelque sorte du sol, précipitée sur certains points, j’en conviens, par des moyens hasardeux, mais ne trouvant nulle part une résistance sérieuse, et partout moralement accomplie avant de se manifester par des votes. Ainsi s’est déroulé ce mouvement, un jour la Romagne, un autre jour les Marches et l’Ombrie, hier la Toscane, demain la Sicile et Naples. Ainsi s’est réalisée cette unité où les autonomies locales ont disparu, et d’où est sortie l’Italie dans sa soudaine croissance.

Voilà ce qu’on oublie lorsqu’on s’efforce de déconsidérer, d’affaiblir le travail de ces quatre années en le représentant comme une usurpation révolutionnaire, comme un artifice d’ambition, en se faisant des susceptibilités locales survivantes une arme contre ce qu’on appelle d’une façon assez barbare le piémontisme, en dépeignant l’Italie comme une terre ravagée et conquise, que le Piémont gouverne, administre, pressure à son profit, et qu’il marque à son effigie du pommeau de son épée. Le Piémont a fait beaucoup sans doute pour l’Italie; il lui a donné une armée, une dynastie ancienne et rajeunie par la popularité, l’ordre, la discipline, un drapeau. L’œuvre achevée cependant, que reste-t-il? Le Piémont n’est plus qu’une des grandes provinces de la péninsule; l’armée d’autrefois est devenue l’armée italienne, où les anciens états du roi Victor-Emmanuel ne comptent que pour moins de quatre-vingt mille hommes sur plus de trois cent mille. Les lois, c’est le parlement qui les fait, et dans ce parlement la représentation piémontaise n’est qu’une minorité. Le président du sénat est un Sicilien, le président de la chambre des députés est un Vénitien. Les cours de magistrature sont pleines d’Italiens de toutes les contrées. Dans le ministère même qui est aujourd’hui au pouvoir, le président du conseil, M. Farini, est des états romains, aussi bien que le ministre des affaires étrangères, le comte Pasolini; le ministre des finances, M. Minghetti, est de Bologne; le ministre de l’intérieur, M. Peruzzi, est de Florence. Tout se mêle. Or ceux qui en France se font les adversaires passionnés de ces transformations et les accusateurs du Piémont, ceux-là savent-ils quel jour cette Italie nouvelle a fait le plus de chemin! C’est le jour où la cession de la Savoie et de Nice s’est accomplie. M. de Cavour, en signant l’abandon de ces anciennes provinces, n’ignorait pas qu’il rompait avec une tradition pour entrer à pleines voiles dans un ordre nouveau; le parlement en