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de ponts d’une arche. On nous conduit à l’habitation qui nous est réservée, celle de Hadji-Moustafa-Effendi, parent du mudir.

Pendant cette longue descente, nous avons eu presque tout le temps une belle vue sur la Galatie. Des montagnes nues, coupées de vallées étroites et tourmentées, s’élèvent peu à peu et se terminent à l’horizon par une ligne presque aussi plane que celle de la mer : c’est le bord septentrional du grand plateau central. Au-dessus, une légère saillie est formée par un ou deux sommets lointains, les montagnes qui se trouvent dans le voisinage d’Afioun-Kara-Hissar. Au coucher du soleil, ces landes sèches et grises qui formeront désormais notre horizon, et auxquelles il faut bien nous faire, semblent se transfigurer. La blancheur du fond que les derniers rayons colorent en tempère l’éclat; tout se couvre d’un ton d’une douceur et d’une finesse charmantes. C’est pour l’œil une vraie caresse.


II.

Il nous faut passer plusieurs jours à Bey-Bazar jusqu’à ce que notre pauvre compagnon, dont les nerfs ont été très ébranlés, soit bien remis. Malheureusement la ville présente peu de ressources : elle est petite; il n’y a dans le voisinage ni gibier ni promenades, et on n’y rencontre pas d’inscriptions. Ajoutez qu’entre ces murs de rocs blancs et nus qui entourent Bey-Bazar et qui poussent de longues crêtes arides entre ses différens quartiers, dans cette gorge sans air, règne la plus désagréable chaleur que nous ayons rencontrée. Aussi les jours paraissent ici singulièrement pesans, et nous les comptons avec impatience. Ce qui est assez curieux, c’est qu’on peut se procurer tous les jours de la neige au bazar : elle provient de glacières naturelles que forment, sur différens points du plateau de l’Olympe, des trous profonds où elle se conserve jusqu’au cœur de l’été.

Dès le lendemain de notre arrivée, de bonne heure, nous recevons la visite du mudir, accompagné de son parent Hadji-Moustafa-Effendi, le maître de la maison où nous sommes logés. Nous allons la leur rendre, le docteur et moi, dans l’après-midi, au médressé, c’est-à-dire à l’école supérieure adjointe à la mosquée, chez le muphti. Nous trouvons réunis là (on avait été prévenu de notre visite et on nous attendait) les principaux personnages de la ville, cadi, muphti, iman d’une des mosquées, secrétaire du mudir, etc. Tout ce monde est bien vêtu, gras et luisant, « de vrais chats-moines, » comme dit Victor Hugo. Chacun pourtant se dit malade et veut une consultation; il la demande avec l’avidité d’un enfant qui se figure qu’un mot du médecin va lui ôter sa maladie. C’est