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répandions l’argent comme de l’eau. » Comment voulez-vous qu’après une pareille déclaration, à laquelle ils ajoutent une foi implicite, ces pauvres gens ne volent pas un peu et même beaucoup les Européens ? Ceux qui s’en abstiennent sont vraiment trois fois honnêtes. Aussi sont-ils rares, parmi les chrétiens surtout.

30-31 juillet, 1er  août. — Nous traversons, du nord au sud, toute la masse de l’Olympe de Galatie, pour descendre, à Bey-Bazar, dans le bassin du Sangarius. Le charme de ces trois jours passés dans la montagne est malheureusement bien gâté pour nous par l’état de M. Guillaume. La fièvre ne le quitte pas, il ne peut rien prendre que quelques cuillerées d’eau sucrée, il ne dort pas la nuit, et pourtant il lui faut faire tous les jours, dans de rudes sentiers, huit ou dix heures de cheval ; ce n’est qu’à force d’énergie et au prix d’indicibles souffrances qu’il se tient en selle. Tout ce pays est cependant admirable, et cette nature présente avec la nôtre de singuliers rapports, qui la rendent encore plus aimable et plus touchante à nos yeux. Dès que nous commençons à nous élever au-dessus de la plaine, les pentes se garnissent de coudriers, de hêtres, d’un épais et vigoureux taillis. Là où il y a des clairières, les cerisiers abondent, encore couverts de petites cerises mûres, d’un goût assez agréable. Les passans (ils ne sont pas nombreux) n’ont cueilli que les fruits des branches inférieures, ceux qui étaient à la portée de la main. Méhémed en se dressant sur son cheval, nos hommes en grimpant dans l’arbre, nous jettent des rameaux chargés de cerises que nous dépouillons à loisir, couchés sur la pelouse, auprès d’une source fraîche. Un peu plus haut, nous trouvons les sapins, et avec eux les fraises, nos petites fraises de bois, brillantes et parfumées.

Une fois au sommet, non de l’Olympe, mais de la pente de l’Olympe qui regarde Boli, nous trouvons devant nous comme une large terrasse, de vastes plateaux traversés par de nombreux ruisseaux et parsemés de pins. Au-delà s’élèvent, à deux ou trois lieues peut-être à vol d’oiseau, les vrais sommets de l’Olympe galate ; ils sont boisés presque jusqu’à la cime. Ils ont une certaine grandeur, mais sans originalité de forme. Le plus haut sommet s’appelle Queur-Oghlou (le fils de l’aveugle). Ce grand plateau, qui a parfois l’aspect d’un parc anglais, est de place en place coupé de ravins, dont le plus profond, à peu près au centre de la montagne, porte le nom, certainement d’origine antique, d’Erekli-Dérési (la vallée d’Hercule). Je connais peu de sites plus étranges et qui m’aient fait une plus profonde impression. C’est une fente étroite et creuse qui coupe en deux la montagne ; seulement, au lieu de se prolonger en ligne droite, elle fait sans cesse des zigzags qui n’en changent point la direction générale, mais qui donnent à la vallée