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nien qui reçoit du mal-mudiri l’argent perçu pour les impôts, et qui, par ses correspondans, le fait toucher au gouvernement à Constantinople. Nous lui demandons quelques détails sur toute cette organisation. Rien de plus embarrassé que ses explications. Ce qu’il est facile de comprendre, c’est qu’en réalité on prend bien plus aux pauvres qu’on n’est censé leur demander. Du marchand qui achète son blé, le paysan reçoit la livre turque pour le moins au taux de 110 piastres, et c’est d’après le produit de son champ, évalué en monnaie courante, qu’il est taxé ; or, quand il va payer l’impôt au gouvernement, on n’accepte la livre turque que pour 100 piastres. Il perd donc 10 piastres par chaque livre qu’il verse au mal-mudiri. Ce n’est d’ailleurs vraiment pas au gouvernement que profite le surcroît de fardeau que l’on fait ainsi peser sur le contribuable. Ceux qui en bénéficient, ce sont les intermédiaires, caïmacans, mal-mudiris, banquiers arméniens, ceux-ci surtout.

Du 27 au 29 juillet, séjour à Boli. — La ville est vaste, mais peu intéressante. Les maisons, en terre et en bois, sont basses et sans originalité. Nous faisons connaissance avec le médecin de la ville, un jeune Turc élève de l’école de Galata-Séraï. Il parle assez bien le français, il a des livres de médecine, une pharmacie assez bien montée et peut-être quelques notions assez justes de thérapeutique et de chirurgie élémentaires. Ce qui empêche surtout qu’on puisse songer à le prendre pour un médecin européen et à le traiter comme tel, ce sont les sentimens qu’il exprime hautement au bout de cinq minutes de conversation. Il est en ce moment payé par cinq ou six villes, Boli, Muderlu, Uskub, Geiweh, Dusdschè, entre lesquelles il est censé partager ses soins et son temps; mais sa résidence habituelle est Boli, et ces villes sont éloignées l’une de l’autre de deux ou trois jours de marche. En hiver même, vu l’état des routes, les communications sont impossibles entre elles. Ce n’est donc que sur l’ordre exprès du pacha que ces villes ont consenti à se charger d’un abonnement dont elles ne tirent aucun profit. « J’y vais une fois par an, nous dit le docteur. — Mais si on n’a pas l’esprit d’attendre, pour tomber malade, le moment de votre visite, comment fera-t-on? — On fera comme on pourra; on se guérira ou on mourra : cela m’est bien égal, pourvu qu’on me paie mes appointemens. » En Occident, il y a peut-être plus d’un médecin qui ne pense et ne sent pas d’une manière plus élevée; mais il rougirait de l’avouer, il n’oserait pas s’en vanter ainsi. La ville où nous sommes paie à Ismaïl-Effendi 600 piastres par mois. Il doit ses visites gratis, mais il vend les médicamens, et l’on ne peut guère supposer qu’il mette beaucoup de discrétion ni dans ses ordonnances, ni dans le prix auquel il vend ses drogues.