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qu’ils soient vraiment bien bonnes gens pour ne pas mettre d’obstacle à nos recherches et à nos travaux?

Du 22 au 25 juillet. — N’ayant pu rencontrer un chasseur de cerfs qui devait me donner des renseignemens sur une forteresse située dans la montagne, je me décide à retourner à Uskub. Deux heures de chemin à travers la plaine, en grande partie inculte, nous conduisent auprès d’un campement de Kurdes. Leurs tentes noires de poil de chèvre sont éparses sous les noyers, parmi les grandes fougères écrasées par le bétail. Les Kurdes, dans cette région du moins, ne sèment ni ne moissonnent. Aucun d’eux ne saurait tracer un sillon; ils ne sont que pâtres et ne vivent que des produits et de la vente de leur bétail. Ils ne connaissent pas la maison; hiver comme été, ils vivent sous la tente; seulement, l’hiver, on couvre de terre le bas de la toile. En les regardant avec un peu d’attention, on reconnaît chez eux les traits essentiels de la race caucasique. Avec moins de régularité et de beauté, ce sont les traits des Persans, le sourcil très arqué, l’œil noir et long, le nez droit, la bouche bien fendue, une barbe noire et abondante au menton. Ils nous reçoivent bien et semblent assez doux. Il y a, paraît-il, une quinzaine d’années qu’ils sont établis dans cette plaine. Ils parlent le turc, mais assez incorrectement, à ce qu’il me semble; entre eux, ils ne se servent que du kurde. Un Arménien d’Adabazar est venu pour leur acheter des vaches. Le marché se fait avec toutes les façons, toutes les roueries de nos maquignons : ici comme chez nous, ce sont des prétentions exagérées, posées de part et d’autre au début sans l’intention de s’y tenir.

Le 23, à neuf heures du matin, nous partons d’Uskub pour Boli. Les malades affluent jusqu’au dernier moment. Lorsque nous nous mettons en selle dans la cour, la mère, la femme du maître de la maison et ses servantes, enfin toute la population du harem apparaît aux fenêtres grillées d’une chambre qui est au-dessous de celle où nous couchions, et nous adresse toute sorte de souhaits de bon voyage, auxquels se mêle la touchante recommandation musulmane : « ne songez pas à nos défauts, oubliez ce qui a pu manquer à notre hospitalité (quousourimizeh baqmaïa). »

La culture cesse bientôt; nous suivons la grande route de Constantinople à Castambol, et une fois même nous sommes forcés de faire un assez long détour. On a labouré la route, et une palissade ferme le passage. A midi, arrivée chez un Kurde qui nous reçoit très bien sous sa tente de crin. Celui-ci a commencé à se prendre à la vie sédentaire. Né ici, il aime cette lande boisée dont il a défri ché une partie. Il nous montre ses champs de maïs et les sauvageons qu’il a greffés. Il allait faire le dernier pas qui marque le renonce-