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liorées, qui nous a invités à développer parmi nous l’énergie spontanée des individus, et cependant, si on leur dénonce les entraves que rencontre chez nous l’énergie spontanée des citoyens dans la législation de la presse, dans les élections, dans les manifestations les plus essentielles de la vie publique, les ministres-orateurs demeurent confondus de surprise, et veulent nous persuader, — aucun tour de force ne décourage le talent, — que nous sommes comblés de libertés et que c’est presque une ingratitude de notre part d’en réclamer davantage. MM. les ministres-orateurs, nous aimons à le répéter, ne nous ont prouvé cette année qu’une chose, c’est qu’ils sont moins libéraux que l’empereur. Ils ne sont pas des ministres parlementaires, et pourtant jamais ministres parlementaires n’ont plus complètement couvert la couronne qu’ils n’ont réussi à le faire en matière de libéralisme. Les élèves d’ordinaire vont bien au-delà des paroles du maître et quelquefois les compromettent en les exagérant ; c’est le contraire qui arrive ici, et jamais maître n’a eu d’élèves plus circonspects. Nous ne nous plaignons point de ce contraste, puisqu’il est tout à l’avantage du chef de l’état, et qu’il sert la gloire de l’empereur mieux que ne le saurait faire la flatterie la plus consommée. Malheureusement l’attitude que les ministres viennent de prendre dans les questions libérales produit un contraste d’une autre sorte, et qui n’est pas moins surprenant.

Depuis six ans, l’opposition est représentée au sein du corps législatif par cinq députés. Ce chiffre est désormais devenu mémorable ; il sera conservé dans l’histoire comme une pittoresque révélation de l’esprit de notre époque, quel que soit d’ailleurs le jugement qu’il plaise à la postérité de porter sur nous. Que si l’histoire donne raison à la politique du gouvernement, elle s’écriera : La France, de 1857 à 1863, fut si heureuse, si bien réconciliée avec elle-même, si justement satisfaite et fière de son sort, qu’il ne se trouva dans le corps législatif que cinq mécontens ! — Que si l’histoire devait porter sur notre temps un jugement contraire, elle dira… autre chose, en ajoutant toujours la même conclusion : Et il n’y eut pas plus de cinq dissidens ! L’article 42 de la constitution, doctement interprété par M. Troplong, nous interdit de décerner des apothéoses aux députés. Nous ne croyons pas manquer à l’esprit de cette sage prohibition, si nous promettons une célébrité impérissable aux cinq députés qui ont personnifié l’opposition au sein de cette législature, d’autant plus qu’ils n’auront point été seulement remarquables par l’exiguïté de leur nombre. Je me transporte par la pensée dans un avenir reculé, je me représente dans cet avenir un de ces esprits curieux, sagaces, qui travaillent dans la poussière des bibliothèques à la savante résurrection du passé. — Ils n’étaient que cinq, dira cet esprit chercheur, et la tradition nous apprend que, sur les cinq, trois seulement, doués d’éloquence, prenaient quelquefois la parole. Sans doute ce furent leurs discours qui épouvantèrent leurs contemporains et firent autour d’eux le vide de la terreur. C’étaient des démagogues. Ils fu-