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On voyait d’abord Diomède et Ulysse, ces compagnons inséparables, toujours prêts aux aventures et aux exploits hardis. L’un venait de saisir les flèches de Philoctète, l’autre emportait la statue de Minerve ravie aux Troyens, double talisman qui assurait aux Grecs la victoire. Un autre couple non moins célèbre servait de pendant aux deux héros : c’était Oreste tuant Égisthe, et Pylade tuant les fils de Nauplios qui veulent secourir Égisthe.

Que dire d’Achille à Skyros caché parmi les filles de Lycomède ? Pausanias ne fait qu’indiquer un sujet que nous retrouvons traité à Pompéi avec les caractères d’une copie. Malgré une exécution médiocre, un coloris dur et désagréable, qui sont du copiste, la composition et le dessin sont d’une grande beauté. La trompette guerrière a retenti, le bruit des armes s’est fait entendre, Achille s’est précipité sur l’épée et le bouclier qu’Ulysse avait mêlés aux parures féminines qu’il feignait de vendre. Déjà il descend les degrés du palais ; ses yeux cherchent l’ennemi, ses vêtemens en désordre ne dissimulent plus des formes mâles et vigoureuses. En vain le sage Phœnix cherche à le retenir, Ulysse l’a déjà saisi et l’entraîne. Déidamie, qu’Achille avait rendue mère, accourt effrayée ; elle essayait les présens d’Ulysse et se montre presque nue sur le seuil du palais ; dans le fond, Lycomède et ses gardes sous le portique orné de guirlandes. Il y a dans cette scène un mouvement, un feu surprenans : c’est une des belles compositions de Pompéi. Je n’ose affirmer que ce soit une copie de Polygnote, quoique la plupart des peintures importantes de Pompéi soient des réminiscences des maîtres grecs. Ce serait plutôt une abréviation libre. Polygnote, selon Pausanias, n’avait pas représenté Déidamie seule, mais avec toutes ses sœurs. Comme ce peintre excellait à peindre les femmes, les filles d’un roi et leurs brillantes parures offraient une ample matière à son pinceau.

Le Sacrifice de Polyxène était une scène plus pathétique encore, et je ne puis m’empêcher de croire que c’est en contemplant dans les Propylées l’œuvre de Polygnote qu’Euripide écrivait ce récit d’une émouvante simplicité, la page la plus touchante de sa tragédie d’Hécube. Néoptolème, fils d’Achille, a tiré de sa gaine le couteau doré ; par l’ordre d’Agamemnon, on laisse libre la jeune vierge, qui veut descendre parmi les morts, non pas en esclave, mais en reine* « Elle a entendu cette parole de ses maîtres. Prenant ses voiles au-dessus de l’épaule, elle les déchire jusqu’au milieu des flancs ; elle découvre sa poitrine et ses seins, beaux comme ceux d’une statue ; puis, posant le genou en terre : — Voici ma poitrine, jeune guerrier, si c’est là que tu désires frapper. Si c’est à la gorge, la voici prête et tournée comme il le faut. — Mais lui, ému de pitié, ne veut pas la frapper, et le veut… » Suspension terrible, qui donne un tableau tout fait.