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dédié au Sauveur, l’autre à la mère de Dieu, et le troisième enfin est placé sous l’invocation de sainte Catherine.

En temps de guerre, lorsque la confédération est menacée par les Yourouk, ou bien quand le pacha de Marach lève des troupes pour marcher contre les Zeïthouniens, les princes et les kaia rassemblent tous les hommes en état de porter les armes. La levée en masse comprend de 7 à 8,000 combattans, de seize à soixante-cinq ans, armés à leurs frais. Les Arméniens et les Turcomans marchent sous les mêmes bannières, et tous concourent avec une ardeur égale à la défense du territoire menacé. Les prêtres qui accompagnent l’armée nationale portent des bannières où sont grossièrement représentés les figures des saints les plus vénérés de l’église grégorienne, des reliques et même le célèbre et miraculeux Évangile sur lequel expira le parjure Vasile[1]. Les Arméniens du Zeïthoun sont aussi attachés à leur religion qu’à l’indépendance de leur territoire; ils poussent même ce sentiment jusqu’au fanatisme : un de leurs prêtres, devenu renégat, fut par eux, en 1845, scalpé et brûlé vif; un des acteurs de ce drame m’en racontait récemment les détails avec un étrange sang-froid.

Les Zeïthouniens n’en ont pas moins des mœurs fort douces et un caractère très facile. Les meurtres sont rares chez eux, et de mémoire d’homme on n’a eu à leur reprocher aucun assassinat ayant le vol pour mobile. Leur probité est proverbiale; aussi n’existe-t-il point de prisons dans leur pays. Lorsqu’un Zeïthounien a commis un crime, on l’exile pour un temps déterminé, ou bien on l’oblige à aller s’enfermer dans un couvent pour faire pénitence pendant plusieurs mois et à distribuer des aumônes selon sa fortune. Le prix du sang n’existe pas dans la législation zeïthounienne. Lorsqu’il survient une querelle entre les gens de deux villages, les princes délèguent un des leurs pour rétablir la paix. Si dans les derniers conflits les princes du pays ne purent arrêter l’effusion du sang, c’est qu’une influence partie de Marach avait pesé de toute sa force dans une querelle que les intrigues de la Porte avaient à dessein envenimée.

Les habitans du Zeïthoun sont industrieux et habiles dans l’art de travailler le fer, qui abonde sur leur territoire. L’agriculture est peu répandue, et le pays ne produit, en fait de céréales, que ce qui

  1. Si l’on en croit la légende, ce Vasile, au moment où il prêtait un faux serment sur le livre vénéré, fut frappé d’un coup de poignard par une main invisible, et le sang du criminel vint, en jaillissant, tacher les feuillets de vélin du manuscrit. Depuis ce moment, l’évangile de Vasile, — c’est le nom qu’on lui donna alors, — est considéré comme le palladium du Zeïthoun; aux grandes solennités, on le tire de son étui pour l’exposer à la vénération des fidèles.