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Au retour des expéditions, il ne fuyait ni les festins ni les courtisanes ioniennes. Si les citoyens le rencontraient quelquefois un peu échauffé par le vin, ils souriaient en se disant qu’Hercule s’enivrait aussi pour se reposer de ses travaux. Ils savaient que le lendemain le fils de Miltiade repartait pour de nouveaux triomphes. Les temps de guerre et d’héroïsme ne vont point sans licence : on permettait beaucoup à ceux qui chaque jour exposaient leur vie. En outre, pour entrevoir cette curieuse époque, il faut se souvenir que c’était une époque de transition, ce qui signifie souvent de désordre. Les mœurs se transformaient. Les costumes ioniens, aux plis moelleux et traînans, faisaient place au vêtement dorien. Les longues chevelures disparaissaient, et avec elles les cigales d’or qui en attachaient les boucles compliquées. Tout devenait plus simple, plus sévère, parce que la démocratie grandissait, parce qu’Athènes devenait de plus en plus la rivale attentive du Péloponèse, où tout était dorien. Le parti aristocratique, qui devait bientôt succomber, jouissait avec insouciance de ses derniers beaux jours. Cimon, qui en était le chef, était aussi l’instigateur des plaisirs et des fêtes, que défrayait un butin facilement renouvelé. Polygnote, accoutumé au luxe de l’Asie, porté par ses instincts vers l’aristocratie, se mêlait à la troupe joyeuse. Il était, on l’a vu, l’amant d’Elpinice, sœur de Cimon, fille et petite-fille de rois. Loin de cacher sa passion, Elpinice en tirait vanité ; elle se faisait peindre sur les murs du Pœcile, afin de consacrer publiquement et ses traits et la gloire d’être aimée par un grand artiste. Veuve du riche Callias, instruite, intelligente, s’affranchissant des lois du gynécée pour montrer aux hommes qu’elle était digne de converser avec eux, Elpinice fut pour Cimon et Polygnote ce que plus tard Aspasie fut pour Périclès et Phidias.

Les plaisirs, goûtés avec cette mesure et cette élégance qui appartiennent à l’esprit grec, n’empêchaient point Polygnote de poursuivre ses travaux : ils étaient nombreux, et les écrivains de l’antiquité sont loin de nous les avoir signalés tous. Par exemple, ils ne nous disent point dans quel édifice se trouvaient des peintures qui furent transportées plus tard dans les propylées de l’Acropole. Soit que les monumens eussent été démolis, soit que les. murs eussent paru menacer ruine, soit enfin que ces œuvres de Polygnote fussent des tableaux mobiles, on les avait recueillies dans la jolie salle de marbre qui forme une des ailes des Propylées, et qu’on appela dès lors la Pinacothèque, c’est-à-dire la galerie de tableaux. Les peintures avaient beaucoup souffert ; le voyageur Pausanias avoue même qu’il ne distingua qu’avec peine certaines compositions presque effacées. Il était grand temps que ces précieux restes fussent sauvés par les Athéniens. Voici, parmi des tableaux de divers auteurs, ceux qui étaient attribués à Polygnote.