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de ces barbares, se défend pied à pied contre eux, soit sur le terrain de la légalité constitutionnelle, afin d’obtenir son émancipation civile, soit dans les montagnes du Taurus, le mousquet à la main, pour conserver son indépendance. Une ferme et sage direction politique contre les ruses vieillies et les faux-fuyans perfides du cabinet ottoman, une bravoure héroïque contre les hordes de bachi-bozouks envoyées pour le pillage et le meurtre, voilà deux vertus qu’il faut reconnaître désormais aux Arméniens de l’empire ottoman, et qui serviront de leviers à la diplomatie européenne quand elle voudra, par quelques efforts tentés en leur faveur, servir avec efficacité la cause des chrétiens d’Orient.

C’est aujourd’hui surtout que ces efforts seraient opportuns. Dans les derniers mois de 1862, la région du Zeïthoun, au milieu des montagnes du Taurus cilicien, était le théâtre d’affreux massacres, qui, au commencement même de cette année 1863, viennent de se reproduire dans la ville de Mousch, près du lac de Van, comme pour épouvanter de nouveau l’Europe et lui lancer encore un défi. Ces massacres continuent la sanglante chaîne dont les affaires de Djeddâh, de Damas et du Liban ont été les premiers anneaux; ils ne cesseront pas avant d’avoir amené pour l’empire turc sa juste punition. Il est vrai que les tendances politiques d’une grande nation européenne, en ceci peu chrétienne, semblent les autoriser indirectement, et que sa protection a jusqu’à présent assuré une scandaleuse impunité aux coupables; mais une autre politique, il faut l’espérer, se décidera un jour ou l’autre à faire le contre-poids et à prévenir le retour d’aussi exécrables forfaits. Le gouvernement turc a pris maintes fois des engagemens solennels à l’égard des chrétiens avec les grandes puissances de l’Occident, et principalement avec la France. Il est temps de lui demander compte du hatti-chérif de Gul-Hané et du hatti-humayoun de 1856, c’est-à-dire de ses promesses officielles en faveur des raïas. Pour quiconque connaît la Turquie, il est certain qu’aucune conciliation n’est possible entre les deux élémens musulman et chrétien livrés à eux-mêmes, car le gouvernement ottoman n’est ni assez fort ni assez loyal pour exécuter ses engagemens les plus positifs et pour contraindre les pachas à plus de justice. Nos années ont à deux reprises franchi les mers pour consolider l’empire ottoman, menacé d’une ruine complète, et pour mettre un terme aux boucheries qui naguère ont ensanglanté la Syrie; ce n’est point certes pour nous rendre complices des nouvelles cruautés exercées sur les chrétiens du Taurus et de Mousch. Tout au contraire le gouvernement français, d’accord avec les puissances protectrices. «Nettement stipulé que la Turquie devrait introduire sans retard des réformes radicales dans la condition des raïas, et il