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ter. — Votre main ! dis-je quand je pensai que la musique et le bruit l’empêcheraient de me bien entendre.

— C’est ta main qu’il fallait dire, reprit Sonitshka souriant… Mais la danse finit sans que j’eusse osé me servir de ce doux pronom familier.

J’assistai ensuite aux préparatifs du départ. Je vis empaqueter les boucles de Sonitshka, ce qui découvrit une partie de ses joues et une partie de ses tempes, que je ne connaissais pas encore. Je la vis envelopper dans le châle vert, si bien que tout au plus apercevait-on le bout de son nez. Je remarquai que si ses petits doigts roses n’avaient un peu élargi l’ouverture unique de ce capuchon improvisé, la pauvre enfant eût risqué de suffoquer. Je la vis enfin, au bas de l’escalier, quitter le bras de sa mère pour se retourner et nous envoyer un petit signe d’adieu avant de disparaître sous le porche.

Voloda, les Ivins, le jeune prince et moi, — tous épris de Sonitshka, — nous étions penchés à la rampe, la regardant s’éloigner. Je ne sais à qui elle avait adressé ce dernier signe de tête ; mais dans le moment je ne doutai pas qu’il ne me fut destiné.

Ce soir-là, je causai avec Seriosha sans le moindre embarras ; je pris même assez froidement congé de lui. Comprit-il qu’il venait de perdre en grande partie mon affection et l’ascendant qu’elle lui donnait sur moi ? Je ne sais trop. Toujours est-il que, s’il s’en rendit compte, il dut le regretter ; mais il eut tous les dehors de l’indifférence la plus superbe.


Tu, toi, le tien, pour toi, à toi… Une fois sous ma couverture, je ne rêvai plus qu’à ce tutoiement délicieux, et je ne pouvais m’endormir, avide que j’étais de faire mes confidences à quelqu’un. — Dormez-vous, Voloda ? — Non, me répondit mon frère d’une voix somnolente… Qu’y a-t-il ? — Je suis amoureux… Je suis amoureux de Sonitshka… — Bon ! et après ?… — Ah ! Voloda, si vous saviez !… Tout à l’heure, dans l’obscurité, je la voyais si bien… je lui parlais… c’est extraordinaire… et savez-vous ? j’avais envie de pleurer…

Voloda se retourna dans son lit.

— Vous aussi, vous l’aimez… Avouez-le donc, Voloda !… — Chose étrange que je voulusse voir tout le monde amoureux d’elle et recevoir les confidences de tout le monde… — Oh ! vous ne dormez pas… vous faites semblant, repris-je ; puis, comme il s’obstinait à garder le silence : — Je voudrais, repris-je encore, qu’elle me dît un jour : Nicolinka, jette-toi dans le feu ! Saute par cette fenêtre !… Je lui obéirais si volontiers !… Tenez, voilà que je pleure encore…

— Quel imbécile vous faites ! interrompit mon frère avec un léger éclat de rire. Et après un instant de silence : — Je ne suis pas