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les nymphes et les divinités marines le saisissent et le conduisent devant Amphitrite, qui lui remet une couronne étincelante d’or et de pierreries, gage de son illustre origine, symbole en même temps de la puissance et des richesses promises à un peuple de marins. Peu de tableaux étaient plus propres à toucher le cœur des Athéniens ; on en devine pourtant la difficulté. Une double scène, un paysage, de la perspective, la transparence des flots, des divinités belles et richement ornées, voilà ce que devait rendre un art qui n’avait encore que peu de ressources et manquait de souplesse.

Je ne répondrais point que Polygnote eût triomphé complètement d’un tel sujet ; mais assurément Micon n’était point capable de le traiter. Il avait son cercle favori, comme les artistes des écoles primitives, et n’en sortait point aisément. Il faisait bien les chevaux, ainsi que la plupart des sculpteurs du Péloponèse, accoutumés à copier les quadriges des vainqueurs olympiques ; il les peignait avec tant de minutie, qu’il ajoutait des cils, même aux paupières inférieures, ce qui indignait Cimon, l’auteur d’un traité sur l’art hippique ; il mettait donc des chevaux dans toutes ses compositions. Ingénieux, habile à éluder ce qui l’embarrassait, ignorant l’art des raccourcis, s’il peignait par exemple le héros Butès écrasé sous un rocher, il avait soin de n’en faire voir que la tête et les yeux. Polygnote, au contraire, avait une main plus hardie, un pinceau plus fleuri. « Le premier, nous dit Pline, il représenta les femmes avec leur parure, leurs vêtemens aux broderies brillantes, leurs coiffures variées. Il rompit l’immobilité et la rigueur des muscles du visage, tradition écrite de ses prédécesseurs ; il ouvrit la bouche de ses personnages, sut les faire sourire en répandant sur leurs joues un coloris aimable. » En un mot, il créa l’expression. Seul il put donc représenter Amphitrite entourée des nymphes de l’humide empire. Il dut même aider Micon à peindre ses Amazones avec plus d’éclat.

Nous retrouvons les deux amis décorant un autre temple, le temple de Castor et de Pollux. Micon y représenta l’Expédition de Jason en Colchide, parce que Castor et Pollux avaient aidé à la conquête de la toison d’or. Il avait profité déjà des conseils et de l’exemple de Polygnote, il avait gagné plus d’audace et en même temps plus de délicatesse, car il n’omit ni Médée ni les filles de Pélias. Polygnote peignit sur l’autre paroi les Dioscures enlevant les filles de Leucippe, scène qui a séduit Rubens, ainsi que l’atteste le tableau qui est au musée de Munich ; mais le sujet qu’un peintre moderne renferme dans un cadre étroit, le peintre grec l’avait étendu sur toute la longueur du temple ; Les filles de Leucippe n’étaient point seules, mais entourées d’une troupe de jeunes vierges, leurs compagnes. La nouvelle annoncée à Leucippe, la poursuite peut-être, la réconciliation, toute la cérémonie du double mariage,