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quand il y brillait à l’improviste, il n’en était que mieux venu.

J’avais d’abord voulu me dérober à l’attention des nouvelles arrivées ; mais quand je les vis au milieu du salon, je me ravisai tout à coup et je m’élançai après elles pour les prévenir que grand’maman était dans son boudoir. Mme Valachin, dont le visage me parut d’autant plus charmant qu’elle ressemblait à sa fille, me passa doucement la main sur la tête.

Grand’maman fut charmée de Sonitshka. Elle la fit approcher, arrangea de ses mains une boucle qui tombait sur le front de la petite fille, et, la regardant avec amour : — La belle enfant ! disait-elle… Sonitshka souriait, rougissait, et devint si jolie que, la regardant, je rougissais, moi aussi. Ce fut bien pis quand ma grand’mère, me prenant la main, y mit celle de Sonitshka, — Nous voilà déjà pourvus d’une dame et de deux cavaliers… Amusez-vous, mes petits, tant que vous pourrez !… — Je jugeai sage, mon embarras augmentant toujours, d’aller au-devant des autres convives. Dans le vestibule était la princesse Kornakof (Barbara Ilinitsha), avec un fils et je ne sais combien de filles, toutes ressemblant à leur mère, et plus laides les unes que les autres. Elles parlaient fort haut tout en se débarrassant de leurs boas et de leurs manteaux, et riaient à gorge déployée,… probablement d’arriver en si grand nombre.

Etienne, — le prince Etienne, comme disait sa mère, — était un grand garçon de quinze ans, maigre, mais bouffi, avec des pieds et des mains énormes, une voix discordante, et une pleine satisfaction de lui-même. C’était bien, selon mes idées, le type de l’enfant élevé à coups de verges. Nous restâmes quelques instans à nous examiner sans rien dire. Je lui demandai ensuite s’ils n’étaient pas bien serrés dans la voiture. — Je n’en sais rien, me dit-il négligemment : ma mère me fait toujours monter sur le siège, à côté du cocher… Je tiens les rênes… Philippe me prête aussi son fouet de temps en temps,… et alors, ma foi, gare aux passans !

— Altesse, dit un laquais qui venait d’entrer sous le vestibule, Philippe fait demander où vous avez daigné mettre le fouet. — Je le lui ai rendu, répondit Etienne. — Il assure que non. — C’est qu’alors je l’aurai accroché à la lanterne. — Philippe dit que vous ne l’avez pas accroché là… Mieux vaudrait convenir tout de suite que vous l’avez cassé et jeté tout exprès dans la rue… Et maintenant Philippe aura vos fredaines à payer de sa poche.

Je faisais semblant, par délicatesse, de ne prêter aucune attention à ce dialogue, mais les laquais présens se groupaient et jetaient sur leur vieux camarade des regards d’approbation.

— Eh bien ! quoi ?… supposons que je l’aie cassé… On le paiera, ce fouet, reprit Etienne, se dérobant à toute explication. Et il m’attirait du côté du salon.