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l’exemple d’une seule fusion analogue à celle que l’on espère et que l’on conseille de tenter! Les hordes de l’Asie ont envahi l’Europe; elles s’en sont retournées, et n’ont rien laissé d’elles. Les armées de l’Islam nous ont visités à leur tour; elles ont repassé la mer, oubliant de ce côté quelques traînards dont le sang s’est infiltré et perdu dans les veines de l’Espagne. Les Turcs sont à Constantinople depuis plus de quatre siècles, et nous prétendons justement qu’ils n’y sont que campés. Depuis que l’Europe est en Amérique, depuis qu’elle est débarquée en Asie, où s’est-elle fusionnée avec une seule tribu indigène? Comment donc bâtir un système de colonisation sur l’espérance d’un rapprochement de races jusqu’ici antipathiques, sur le rêve d’une sorte de fraternité universelle qui n’est écrite ni dans les lois de la nature ni dans les leçons de l’histoire? Il faut donc croire que si la Providence a daigné nous confier une mission en nous rendant maîtres de toute la terre, cette mission consiste, non pas à réaliser une fusion impossible, mais simplement à répandre ou à réveiller au sein des autres races les notions supérieures dont nous avons gardé le dépôt. Proclamer partout la loi du travail, enseigner une morale plus pure, étendre et transmettre notre civilisation, cette tâche est assez belle pour honorer une grande entreprise coloniale, et c’est en vue de l’accomplir plus sûrement que les métropoles de l’Europe doivent organiser le gouvernement et l’administration dans les vastes territoires où la conquête leur a livré des millions de sujets.

Le problème, ainsi ramené à ses véritables proportions, exige l’emploi de moyens plus faciles à indiquer qu’à pratiquer. Qu’il soit nécessaire d’avoir les plus grands égards pour les coutumes et même pour les préjugés de la race indigène, de respecter sa religion, de reconnaître ses droits de propriété et de possession, de constituer la propriété individuelle là où elle n’existe pas, d’inspirer ainsi le besoin et les habitudes du travail, d’être juste autant que ferme, et de faire en sorte que la nation conquise reconnaisse dans le conquérant un tuteur bienveillant plutôt qu’un maître, ce sont là des axiomes qu’il est à peine besoin de rappeler. Dans les siècles derniers, alors que l’on faisait la chasse aux pauvres Indiens pour les enfouir dans les mines à la recherche de l’or, quand on les obligeait, comme aux Moluques, à brûler leurs récoltes pour rendre les épices plus rares et plus chères, quand des moines fanatiques les convertissaient de force, ces principes auraient paru nouveaux, et on les eût contestés, aujourd’hui, grâce aux sentimens de notre génération, ce ne sont plus que des vérités banales, et pourtant on doit reconnaître qu’elles sont d’application difficile, soit par le fait de l’impéritie des métropoles, soit par suite de la résistance, aveugle ou raisonnée, des races