Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait préservé les antiques idoles de bois que la Grèce vénérait ; elle avait appliqué sur les statues de marbre ses teintes plus riches et son enduit conservateur ; elle avait émaillé de fleurs et d’ornemens variés les vêtemens des divinités ; enfin elle avait rehaussé les bas-reliefs qui formaient la frise des temples par ses tons éclatans et ses oppositions vigoureuses. Cette servitude lui fut salutaire : lorsqu’elle fut capable de se rendre indépendante, elle resta simple, idéale, ainsi que la sculpture, s’attachant comme elle à la pureté des lignes et à la beauté des formes, éprise du dessin plutôt que de la couleur, cherchant la noble disposition des figures plutôt que les effets de composition. Cette excellente discipline assura la grandeur subite des peintres grecs. Dès qu’ils purent imiter les sculpteurs, ils les égalèrent par la noblesse et le fini drs contours, par la justesse de la construction, par la naïveté charmante des attitudes, et surtout par cette exquise, simplicité dont les vases peints nous montrent des modèles innombrables. Les sculpteurs qui précédèrent Périclès avaient encore quelque rudesse, mais ils possédaient déjà une science précise, puissante, à laquelle il ne manquait qu’un peu de liberté pour atteindre la grâce. Les frontons d’Egine et les anciennes sculptures qu’on a retrouvées soit dans le Péloponèse, soit en Asie-Mineure, en sont la preuve. Certainement la peinture avant Polygnote avait, bien plus que la sculpture avant Phidias, un caractère conventionnel ; elle était comprimée par des formules étroites, elle avait quelque chose d’écrit comme les hiéroglyphes de l’Égypte ou les processions figurées sur les palais de Ninive. Ces deux artistes franchirent d’un seul bond toutes les barrières ; mais Polygiiote, qui précéda Phidias, alla moins loin : il eut le grand style, mais non cette souplesse divine qui constitue la perfection. De même que Phidias avait commencé par être peintre, Polygnots avait étudié la sculpture. Pline, dans son trente-quatrième livre, le classe même parmi les sculpteurs. Ces deux grands maîtres avaient voulu compléter leur éducation, sachant combien les diverses branches de l’art sont unies étroitement, sachant surtout que, si la variété d’applications épuise les esprits médiocres, pour les esprits vigoureux s’étendre, c’est s’agrandir.

Tandis que la sculpture lui révélait la science des formes, Polygnote apprenait, en étudiant Homère, l’art de penser et les conceptions fortes. Homère est considéré comme le père de la littérature grecque : tous les genres, depuis la tragédie jusqu’à l’idylle, sont contenus, dit-on, dans l’Iliade et dans l’Odyssée, de même que le fruit dans la fleur. Les arts d’imitation ne s’inspirèrent pas moins de la grande épopée nationale. Dès qu’ils ne représentaient plus des dieux, c’étaient les héros de la guerre de Troie. La peinture sûr-tout, qui était moins utile à la religion et moins enchaînée que la