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lières, quel colon libre aurait eu la pensée d’affronter les ennuis et les périls de la traversée australienne? Dans certaines îles des Antilles et de la mer des Indes, ce sont les flibustiers, dans la Nouvelle-Hollande ce sont les condamnés qui ont formé pour ainsi dire le tuf de la colonisation. En pareille matière, on n’y regardait pas de si près. L’homme et ses bras, voilà ce qui était premièrement indispensable; le capital, dans les colonies pénales, se trouvait fourni par le gouvernement, qui y employait une partie du budget pénitentiaire. Qu’est-il arrivé ensuite? C’est que l’élan étant donné à la production, la culture étant mise en train, la population de la métropole étant devenue exubérante, les terres de l’Amérique du Nord commençant à se couvrir d’habitans, et surtout la vapeur ayant rendu les communications faciles et promptes, les émigrans libres sont arrivés à leur tour et se sont emparés de ce sol vainement flétri. La colonie pénale a disparu du moment qu’elle n’était plus nécessaire; mais elle n’en avait pas moins accompli son œuvre utile en défrichant le terrain et en y jetant les premières semences.

Il est probable qu’on ne verra plus désormais s’organiser de colonies pénales. Sitôt qu’une terre de facile culture, sous un climat sain, s’offrira à la spéculation européenne, la vapeur y apportera l’immigration libre, et celle-ci s’appliquera à y attirer, pour concourir à l’exploitation du sol, une population libre comme elle et issue de la même race. Mais comment payer les dépenses considérables de transport de ces cultivateurs, sans lesquels la terre demeurerait en friche? A quelle source puiser le capital destiné à procurer le travail et à subventionner les bras? Le problème a été ingénieusement résolu par le mode adopté depuis 1830 dans les colonies de l’Australie. Avec le produit de la vente des terres, le gouvernement forme un fonds spécial qui est consacré à l’immigration. Il y a donc dans chaque lot de terre payé par le colon capitaliste le germe d’un colon salarié, et l’acheteur s’assure en même temps la propriété du sol et les moyens de culture. Les auteurs de ce système, auquel est attaché le nom de M. Wakefield, avaient imaginé des combinaisons assez compliquées, notamment pour empêcher que les immigrans ne devinssent eux-mêmes propriétaires au lieu de rester, pendant quelques années au moins, dans la condition de simples travailleurs. Dans cette pensée, ils avaient proposé de tenir le prix des terres à un taux élevé, de manière à n’ouvrir qu’au capitaliste l’accès de la propriété. Ces combinaisons n’ont pas été appliquées; la pratique n’a emprunté au système Wakefield que l’idée fondamentale de l’immigration défrayée avec la vente des terres, et le succès a été décisif. Par ce procédé, la colonie se peuple selon ses besoins, elle alimente le budget de l’immigration, elle