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justes entre des époques si diverses, mais elles servent à rendre les faits plus sensibles. Avec cette réserve, les peintres primitifs de la Grèce pourraient être comparés aux peintres byzantins qui préparèrent la renaissance italienne, foule anonyme que personnifiait saint Luc. Dès lors Aglaophon serait le Cimabué de l’antiquité, tandis que Polygnote en serait le Giotto.

Aglaophon fut-il un de ces peintres qui enseignent leur art mieux qu’ils ne le pratiquent, professeurs plutôt que maîtres, et facilement dépassés par leurs élèves ? Il est vrai que Quintilien le met au même niveau que son fils Polygnote, et que Cicéron les place tous deux entre Apelle et Zeuxis ; mais il faut se défier de l’emphase des avocats romains, amateurs de l’art grec plus passionnés peut-être que clairvoyans. Au moment des guerres médiques, quand la sculpture était encore voisine de l’archaïsme, la peinture était certainement moins avancée, elle qui procédait de la sculpture et lui devait ses progrès. Deux détails, les seuls qui nous aient été transmis sur les œuvres d’Aglaophon, confirment ce soupçon : dans un de ses tableaux, on montrait un cheval très beau ; dans un autre, on remarquait qu’il avait peint la Victoire avec des ailes. Or les statuaires qui ont précédé Phidias excellaient déjà à faire des chevaux et des quadriges ; d’autre part, on sait que les sculpteurs de Chio et d’Éphèse avaient imaginé longtemps avant Aglaophon de représenter la Victoire avec des ailes.

La jeunesse de Polygnote fut obscure, remplie par l’étude et par des travaux lucratifs. Thasos pouvait donner la richesse, mais non la renommée. Les marchands payaient ses tableaux au poids de l’or ; leurs éloges ne s’étendaient pas au-delà d’un territoire exigu ou des ports de mer voisins. Polygnote apprit de son père tout ce que son père pouvait lui enseigner. Il chercha lui-même des procédés nouveaux, des moyens plus délicats, des compositions plus libres. On lui attribuait l’idée de mêler de la cire aux couleurs, afin de les faire pénétrer, à l’aide du feu, sur le marbre ou sur les enduits. Si l’esprit grec montre à toutes les époques un amour singulier du raffinement, le siècle de Périclès était par excellence le siècle des progrès rapides ; il semblait qu’une volonté commune animât les peuples et les artistes les plus divers, pour les pousser vers la perfection. Deux choses contribuèrent surtout à tirer Polygnote des erremens de l’ancienne école et donnèrent l’essor à son génie : l’exemple des sculpteurs contemporains et la lecture d’Homère.

Dans le principe, la peinture avait été la servante de la sculpture, comme la musique fut celle de la poésie. Si la musique, avant de se constituer en un art particulier, n’avait été qu’une mélopée qui prêtait plus de majesté aux récitations des poètes, la peinture n’était qu’un auxiliaire, un complément de l’art du sculpteur. Elle