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avantage pour son pays, comme un mouvement naturel et salutaire auquel on doit laisser sa pleine liberté, et qui est à l’abri de tout excès. Si nous nous transportons en Allemagne, nous sommes loin de rencontrer la même doctrine. Dans certains états, l’émigration est déterminée par des considérations tout à fait étrangères à la loi économique : en général, la population n’y est point exubérante, le sol et l’industrie emploieraient aisément tous les bras; mais, sans compter les dissentimens politiques et religieux qui ont agité l’Allemagne et qui ont précipité à diverses époques le mouvement d’expatriation, il y a encore dans l’organisation politique et sociale de plusieurs états, dans la législation relative au mariage et aux successions, dans le système fiscal, des dispositions d’ancien régime qui ont pour effet de multiplier le nombre des émigrans. On ne saurait nier qu’une émigration due à de telles causes ne puisse être dommageable pour l’état, qu’elle prive d’une certaine proportion de bras utiles et de matière imposable. Aussi voit-on la plupart des gouvernemens de l’Allemagne opposer des obstacles légaux ou réglementaires au courant qui entraîne au dehors les populations, et la théorie de l’émigration y demeure-t-elle encore très controversée parmi les économistes.

De même, pour l’exportation du capital, les opinions sont différentes selon les pays où le fait se produit. La sortie du numéraire qu’emportent les émigrans ne présente aucun inconvénient dans un état où le capital est surabondant, le crédit facile, l’industrie florissante, le commerce très étendu. Elle peut au contraire sembler préjudiciable pour un état où le loyer de l’argent est à un haut prix, et qui, soit à raison de son infériorité industrielle, soit par suite de sa situation géographique qui le tient éloigné des grands marchés, renouvelle moins promptement son capital. Cependant la sortie du numéraire qui accompagne les émigrans n’exerce en réalité qu’une influence très restreinte sur le chiffre du capital national. D’abord les valeurs ainsi exportées sont relativement peu considérables, attendu que ce ne sont pas d’ordinaire les classes riches qui vont chercher fortune au dehors; ensuite et surtout le capital, sorti par une route, ne tarde pas à rentrer par une autre voie dans tout pays qui lui offre un emploi sur et lucratif. On comprend que les gouvernemens de certains états se croient intéressés à arrêter par des entraves légales l’émigration de leurs sujets, car la population ne se remplace pas du jour au lendemain; mais les règlemens les plus sévères ou les mieux combinés seraient aussi illusoires pour retenir le capital qu’inutiles pour l’attirer, parce qu’il va et vient sans passeport, il paraît ou se dérobe au gré de son seul intérêt; son niveau monte ou baisse par un mouvement très distinct de celui qui dirige