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Je ne rechercherai point les origines de la peinture, je ne renverrai pas non plus aux récits de l’antiquité, sans avertir qu’ils sont mensongers. Les Grecs trouvaient naturel que tout eût commencé avec eux ; ils se constituaient le principe de la civilisation entière. Ils avaient donc analysé, avec leur subtilité rigoureuse, les procédés de l’esprit humain quand il s’applique à la peinture ; ses opérations Successives étaient devenues autant d’inventions personnifiées par des artistes différens. Ainsi le premier essai de l’homme avait dû fixer sur un mur l’ombre projetée par un visage ; ils attribuaient cette idée à Saurias de Samos. Ensuite on avait dû imiter directement, à l’aide d’un trait, le contour des corps ; ils désignaient Philoclès et Cléanthe. Un autre progrès fut de retracer la saillie des os, les contractions des muscles, les plis des vêtemens, par des lignes multipliées ; ils nommaient Ardicès de Corinthè et Téléphane de Sicyone. La science des raccourcis et la perspective étaient représentées par Cimon de Cléone. Du dessin, on passa à la couleur. Ecphantos commencera par couvrir également son dessin d’une teinte de brique pilée. Eumaros, Athénien, distinguera l’homme et la femme par deux tons opposés, ainsi qu’on le voit sur les plus anciens vases grecs. Enfin la découverte des couleurs diverses, la peinture à l’encaustique, paraîtront à leur tour et comme à jour fixe. Un enchaînement si méthodique n’est point propre à nous persuader ; il excitait le doute parmi les anciens eux-mêmes, Théophraste, dont le sens était si fin, faisait dater la peinture de Polygnote.

La science moderne entrevoit au contraire ce que la Grèce a emprunté aux civilisations qui l’ont précédée. Ses mœurs étaient encore sauvages quand l’Égypte et les empires de la Haute-Asie avaient atteint déjà leur éclat. La Lydie, dont la grandeur expirait au temps de Solon, revendiquait sa part dans les progrès de la peinture, et, comme une colonie lydienne alla s’établir en Étrurie, les peintures des tombeaux étrusques donnent quelque force à cette prétention. Ce qui est certain, c’est que les plus anciens tableaux cités par les auteurs sont faits par des Grecs d’Asie-Mineure, par exemple le Combat des Magnésiens, peint par Bularque et couvert d’or par le roi Candaule, ou le Passage du Bosphore, œuvre de Mandroclès, que l’on conservait dans le temple de Samos. C’est à Éphèse, à Samos et dans les îles voisines de l’Asie-Mineure que l’on enseigne régulièrement l’art de peindre ou que l’on fonde les premiers concours ; c’est pourquoi le nom de l’école asiatique fut respecté par les Grecs du continent, même quand leur école helladique fut florissante. De la sorte, le mouvement se transmit d’Orient en Occident. Thasos l’opulente, qui tenait à la civilisation orientale par le voisinage, par le commerce, par des intérêts de tout genre, eut aussi des peintres de bonne heure. Les comparaisons sont rarement