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dans les écrits de lord Grey, ancien ministre des colonies, ont exercé une sérieuse influence sur la politique de l’administration anglaise. C’est là que l’on peut étudier le plus sûrement les principes et les procédés de la colonisation britannique en même temps que les doctrines générales dont les métropoles doivent s’inspirer pour le gouvernement de leurs possessions.


I.

Est-il avantageux pour un état de posséder des colonies? Au premier abord, cette question paraît singulière. Quand on considère le degré de puissance et de prospérité auquel la possession de vastes colonies a élevé successivement l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, la France, la Hollande, il semble que la réponse ne saurait être douteuse. La question a été posée cependant, et elle mérite qu’on s’y arrête. Les adversaires de la colonisation ne contestent pas que la conquête de l’Amérique et des Indes n’ait marqué, dans l’histoire de l’Espagne et du Portugal, une ère très brillante; mais ils sont prêts à démontrer que les colonies espagnoles et portugaises ont plus tard appauvri les métropoles, qu’elles sont devenues un embarras, un fardeau, une source de guerres ruineuses et d’humiliations nationales. Pour l’Angleterre même, ils font le compte des dépenses et des sacrifices énormes qu’ont coûtés les colonies; ils rappellent les millions prodigués et gaspillés dans les guerres avec l’Espagne, avec la Hollande, avec la France, pour la conquête ou la conservation des possessions d’outre-mer. Si on leur objecte l’intérêt commercial, ils répondent par l’exemple de plusieurs grands pays qui, sans posséder aucune grande colonie, entretiennent au dehors un immense trafic. Ils citent les États-Unis, qui n’ont pas même un îlot, et dont le pavillon se montre dans tous les ports du monde; ils citent l’Allemagne, dont les produits apparaissent sur tous les marchés des deux Amériques; ils pourraient également citer la Chine, qui peuple tout l’Orient de ses colons, trafiquant et s’enrichissant à l’abri des pavillons étrangers. Hs admettront peut-être que, dans les temps passés, alors que le régime colonial reposait sur les monopoles et sur les restrictions douanières, les nations dépourvues de colonies se voyaient, à leur désavantage, écartées des marchés lointains dont les possesseurs se réservaient l’exploitation exclusive; mais aujourd’hui, disent-ils, sous le régime de liberté et de concurrence qui tend à prévaloir, à quoi bon se donner les embarras et s’imposer les dépenses d’un établissement colonial, puisque les marchés sont ouverts et que chacun peut y échanger ses produits? —