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force comme à l’éclat de son pouvoir, et que, même après lui, elle reste bien moins vaine que ne le prétendent d’inintelligens observateurs. Qu’ils regardent ce qui se passe aujourd’hui et sous leurs yeux.

Napoléon fit une chose plus grande et plus difficile encore, et celle-ci, condition première de toutes les autres, fut son œuvre exclusivement personnelle. Il réhabilita en France le pouvoir méconnu, abattu, humilié, dégradé, tour à tour et quelquefois tout ensemble odieux et ridicule dans le cours de la révolution. Dans le petit groupe historique des hommes de son ordre, nul peut-être n’a possédé aussi naturellement et déployé aussi hardiment que lui l’instinct et le don du pouvoir : le pouvoir reparaissait et se relevait à l’horizon à mesure que Napoléon lui-même s’élevait; il était le pouvoir personnifié. De loin comme de près, les hommes reconnaissent, avec une soumission empressée, cette primatie de l’esprit et du caractère quand elle leur vient en aide dans leurs jours de trouble et de détresse. Napoléon en donna une preuve plus éclatante que la fondation même de son propre empire : il reconnut un empire qui n’était pas le sien; il tendit la main à la papauté pour que, de concert avec lui, elle relevât l’église au sein de l’état. Quelles qu’aient été les imperfections et les lacunes du concordat, cette intelligence de la nécessité et des droits naturels du pouvoir religieux à côté du pouvoir politique est le plus bel éclair de génie moral et de bon sens pratique qui ait brillé dans la vie de Napoléon: heureux s’il fût toujours resté fidèle à sa grande pensée, et si, dans les emportemens d’une ambition sans limite et d’un despotisme sans frein, il n’eût pas prétendu trouver un instrument servile dans l’allié moral auquel il avait rendu en France sa place et son action!

Que dirai-je de ce qu’il a fait pour l’indépendance et la grandeur nationales? Il a reçu, sous ce rapport, le prix de ses œuvres; rien ne lui a manqué des hommages auxquels il avait droit, et nous avons payé sa gloire trop cher pour en rien contester.

Je tiens à reconnaître pleinement et à mettre en lumière les mérites et les services de cette seconde phase dans la vie de la génération de 1789. Les amis de la liberté politique méconnaissent trop souvent ce qu’elle a fait alors, non-seulement de glorieux, mais d’excellent et de nécessaire pour la France, et je lui trouve moi-même trop de torts et des torts trop graves pour que la justice la plus large ne me soit pas envers elle un impérieux devoir.

Emportée dans une réaction naturelle contre l’anarchie, adonnée à rétablir laborieusement la sécurité matérielle du corps social et le jeu régulier de ses membres, la génération de 1789 a méconnu, délaissé, opprimé, dans cette période de sa destinée, ce qui est l’âme et la vie morale de la société, la liberté et le droit : au dedans,