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Je voudrais résumer et exprimer, sans phrases, les grands résultats de ce travail d’un grand homme et de ses compagnons au service d’une grande cause.

Napoléon a reconstruit en France la charpente sociale. Ce n’est point par une vaine figure qu’on appelle la société un édifice : elle a ses fondemens, ses gros murs, ses divers étages, ses voies de circulation, sa toiture, conditions de sa sécurité et de sa commodité intérieures. Tout ce matériel de l’état social avait été bouleversé et détruit dans les emportemens de la révolution. Napoléon et ses conseillers, tantôt reprenant les plans et les travaux de l’assemblée constituante, tantôt les dégageant de ce qu’ils avaient d’imprévoyant et de peu pratique, relevèrent, sur ces ruines, un édifice nouveau, fortement construit, bien entretenu, bien défendu, et rétablirent sur notre sol cet ordre général et continu, et ces instrumens de l’ordre général et continu sans lesquels la société ne pourrait vivre ni prospérer. L’administration française, cette grande œuvre de l’empire, a de grands vices politiques; mais à travers nos violentes secousses répétées elle a, plus d’une fois déjà, fait, parmi nous, la sûreté intérieure et le prompt rétablissement de la société.

Après l’ordre matériel, la première condition du bon état social, c’est que les divers élémens de la société, les classes, les professions, les personnes naturellement diverses soient à leur place naturelle et vraie. Napoléon rappela et remit en haut ce qui est naturellement en haut. Peu moral lui-même, il avait le goût des honnêtes gens, des vies régulières et dignes; il savait que la société en a besoin pour sa force comme pour son honneur, et que le désordre moral l’abaisse et la dissout. Peu fait aux délicatesses du monde et capable d’un laisser-aller familier ou d’un emportement brutal, il se plaisait aux mœurs élégantes, aux manières nobles, aux formes exquises, pensant avec raison que l’éclat extérieur des vies, l’élévation des habitudes et des goûts sont des faits naturels dans une société depuis longtemps civilisée, et qui contribuent à sa grandeur. Cet homme nouveau, ce fils et ce chef d’une révolution démocratique, avait l’esprit assez haut, assez libre, assez juste, pour faire cas des choses anciennes, et pour comprendre ce que le temps apporte de beauté à ce qu’il ne flétrit pas et de force à ce qu’il ne détruit pas. On lui a reproché son empressement à élever en grands seigneurs les compagnons de sa fortune révolutionnaire, et à rappeler autour de lui, pour fondre ensemble ces deux noblesses, les grands seigneurs de l’ancienne France. J’incline à croire qu’il attachait à cette œuvre plus d’importance qu’elle n’en devait avoir dans le cours des temps, et qu’il y prenait plus de plaisir qu’elle ne valait; mais il n’en est pas moins certain que, de son vivant, elle a grandement contribué à la pacification de la société française, à la