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légèreté frivole, cyniques grossiers ou badauds fanatiques, déclamateurs enivrés de leurs propres paroles ou conspirateurs envieux, haineux et imprévoyans. Il n’était certes point aisé d’en faire de grands hommes. Pourquoi l’a-t-on entrepris? Pourquoi y a-t-on réussi, pour un temps du moins et auprès d’un nombreux public? Est-ce uniquement le besoin de faire du bruit, un bruit populaire, qui a poussé des esprits éminens dans cette voie d’idolâtrie révolutionnaire? Est-ce uniquement le goût du mélodrame sous le nom de l’histoire qui a valu à de telles œuvres un tel succès?

Ces faiblesses personnelles y ont eu leur part; mais ce sont de trop petites explications pour un fait moralement si étrange; il a des causes plus générales et plus graves.

A côté de ces hymnes en l’honneur des acteurs révolutionnaires éclatent, non-seulement contre eux, mais contre la révolution française en général, des imprécations ardentes et incessantes. Dominés soit par les passions de parti, soit par un profond sentiment des erreurs et des crimes de cette époque, des esprits élevés et moraux ne voient que sa face folle et hideuse. Bien plus, toute révolution porte auprès d’eux la peine de celle-là; le mot révolution est devenu pour eux synonyme de crime, folie, désastre; ils n’accordent, à ces secousses volcaniques des sociétés humaines, aucun bon principe, aucun bon résultat.

Je voudrais qu’une expérience rétrospective fût possible, et que, pour un moment, la France se trouvât tout à coup replacée dans l’état où elle était avant 1789. Ce pays, qui supporte tant, ne supporterait pas un moment ce retour; moralement comme matériellement, il lui serait odieux et intolérable. Il le serait à ceux-là mêmes qui pensent et parlent le plus mal de la révolution; leurs idées, leurs sentimens, leurs intérêts les plus légitimes et les plus intimes seraient à chaque instant contrariés, entravés, froissés. Personne ne persuadera à la France qu’elle n’est pas aujourd’hui mieux réglée et mieux gouvernée qu’elle ne l’était avant 1789; elle se sent, elle se croit, elle a raison de se sentir et de se croire en possession de beaucoup plus de justice envers tous et de bien-être pour tous. La génération qui a possédé la France de 1789 à 1798 n’a pas travaillé et souffert sans fruit; ce sont les vérités mêlées à ses erreurs, les conquêtes qu’elle a faites au milieu de ses désastres, les édifices qu’elle a élevés sur ses ruines qui donnent à ses apologistes et à ses chantres tant de faveur auprès des masses quand ils célèbrent ses personnages et enivrent de ses souvenirs ses descendans. Que les adversaires de la révolution française ne s’y trompent pas : quand ils l’attaquent indistinctement, ils ne font que la rendre indistinctement plus chère à la France, et transformer en culte aveugle une reconnaissance légitime. Et ils changeraient bientôt eux-mêmes de