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Depuis trois quarts de siècle, trois générations, 1789, 1814 et 1848, ont possédé politiquement la France et fait ses destinées. Les deux premières ont terminé leur course; la troisième commence la sienne. Je veux les interroger toutes trois; je veux savoir avec précision ce qu’elles ont pensé, ce qu’elles ont désiré, ce qu’elles ont fait, et chercher, dans leur âme et dans leur histoire, le sens des événemens contemporains et l’avenir politique de la France.


Le caractère dominant, le grand caractère de 1789, c’est l’unanimité dans l’élan national : non pas certes l’unanimité des opinions, mais celle des désirs et des espérances à travers la divergence des opinions. On ne peut parcourir les cahiers des trois ordres convoqués aux états-généraux qui devinrent l’assemblée constituante sans être frappé de l’unité de sentiment et de mouvement qui anime ces classes si diverses et si près d’entrer en lutte. Par leurs situations, leurs habitudes, leurs préjugés, leurs goûts, elles différent essentiellement; mais le même feu les échauffe, le même vent les emporte : l’esprit de réforme et de progrès possède la France tout entière.

Quelle était, à cette époque, l’ambition suprême de cette France encore si variée et si incohérente malgré son travail, depuis bien des siècles, pour atteindre à l’unité nationale? A quel but définitif et commun aspiraient cette noblesse, ce clergé, ce tiers-état, tout ce peuple encore si peu accoutumé à marcher ensemble ? L’équité dans l’ordre social et la liberté dans l’ordre politique, le respect des droits personnels de tout homme et l’action efficace de la nation dans ses affaires, une société juste et un gouvernement libre, c’est là le vœu qui se trouve au fond de tous les vœux, qui s’élève au-dessus de toutes les diversités de situation et d’opinion. C’était là le besoin passionné de cette génération ardente et forte qui se précipita dans son dessein comme un torrent longtemps contenu et amassé se précipite sur la pente de son cours.

Ce n’était pas seulement dans des écrits, des discours, des instructions, dans des manifestations fugitives de la pensée qu’éclataient ce mouvement général, cette tendance commune des esprits en France avant la réunion des états-généraux de 1789. Les actes venaient avec les paroles; de grands pas étaient déjà faits vers la réforme sociale et la liberté politique. Et ce n’étaient pas seulement quelques hommes supérieurs un moment investis du pouvoir, Machault, Turgot, Malesherbes, Necker, qui poussaient la France dans cette voie; la nation elle-même, toutes les classes de la nation, le clergé et la noblesse comme le tiers-état, les propriétaires des campagnes comme les habitans des villes s’y engageaient activement el