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lerait la base même de l’édifice, l’infaillibilité. Un débat s’engage-t-il entre les fidèles sur une question non encore tranchée, le pape le suspendra jusqu’à ce qu’il ait décidé[1]. Comment alors le clergé ne considérerait-il pas avec inquiétude, avec une indignation même très naturelle, cette science humaine qui demande à chaque institution son histoire, à chaque prétention son titre, à chaque fait son origine ? Comment des esprits habitués aux douces lueurs du mysticisme et à un monde enchanté tout rempli d’extases, d’apparitions et de miracles, s’accommoderaient-ils de cette lumière pénétrante et vive qui éclaire toutes choses jusque dans leurs dernières profondeurs ? À une époque où la presse répand dans les foules laïques les besoins et les habitudes de l’esprit scientifique plus encore que ses découvertes, comment les remettre sous une autorité dont chaque décision est appuyée par un anathème, et qui, grâce à un certain progrès particulier, proclame de nos jours même des dogmes nouveaux ? On entrevoit sans peine toute la difficulté d’une réconciliation sur ce terrain. Bossuet et Leibnitz, qui ne s’en souvient ? essayèrent aussi de l’opérer au réveil de l’esprit moderne. La tentative échoua contre la prétendue immutabilité de l’église. Leibnitz voulait arriver à un compromis moyennant quelques concessions réciproques. Dans sa lettre du 14 mai 1700, il dit ce mot, qui résume le débat : « Le moins d’anathèmes qu’on peut, c’est le meilleur. » L’évêque répond qu’on ne peut ni les révoquer ni les suspendre. Devant cette autorité qui n’admet pas la discussion, le philosophe s’éloigne tristement. Le divorce était consommé.

Un fait semble certain dès à présent : c’est que la crise actuelle n’amènera pas de si tôt au sein du catholicisme les grands changemens désirés par les uns, redoutés par les autres. Les corps tombent du côté où ils penchent, les institutions se développent en raison des principes qui les soutiennent. La société laïque a suivi sa voie, l’église a suivi la sienne : toutes deux ont fait des progrès, mais dans un sens opposé ; ne faudrait-il point de la part de l’une ou de l’autre un revirement complet pour qu’elles vinssent à se rencontrer ? Lorsque Pie IXe constatait récemment cette divergence en termes si nets, on a pu le regretter : mais il serait difficile de contester ses assertions, au moins comme point de fait. On vient de le voir, tandis

  1. Voici un exemple récent et instructif de cette intervention de l’autorité pontificale. Depuis quelque temps s’agitait une controverse, au sujet des forces naturelles de la saison, entre l’université catholique de Louvain et la société de Jésus. Par lettre apostolique du 19 décembre 1861, le pape ordonne que toute discussion cesse en attendant que le saint-siège tranche la question. La faculté de philosophie de Louvain s’est aussitôt inclinée devant la volonté de celui qu’elle appelle « le juge infaillible de la doctrine et le souverain régulateur des consciences. »