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la nécessité d’entreprendre ; je veux dire qu’il faut que l’honneur ou le salut y oblige ; telle la légitimité et l’efficacité des moyens, telle la possibilité de réussir. En révolution plus encore qu’à la guerre, les cas sont rares où l’on doive agir coûte que coûte et marcher à la mort certaine : nécessités de l’héroïsme qui font les journées sublimes et malheureuses de l’histoire !

Il y a eu des temps où personne n’aurait accordé un moment que la France ne pût être libre sans se perdre, et qu’une révolution fût un signal assuré d’anarchie ? Qu’est-il donc arrivé depuis ? Il est arrivé la révolution de 1848, la plus gratuite, la moins utile, la moins raisonnable des révolutions ; elle n’est point arrivée faute d’ordre, ni de liberté, ni de pouvoir ; elle n’est point arrivée parce que les finances étaient en désordre, parce qu’une grande opinion était persécutée, parce qu’un parti était opprimé par un autre. Elle semble donc un événement sans motifs, presque un effet sans cause, et, ne voulant pas nous en prendre à nous-même, nous nous en prenons aux institutions.

Il est impossible, on le comprendra, de discuter ici les causes de la révolution de 1848 ; mais on en peut examiner les conséquences : elles ont été plus graves que ses actes. À ne considérer que ses actes, on aurait peu le droit d’être sévère, et nos père nous jugeraient heureux. Il est vrai que la révolution de 1848 avait reçu de bons exemples. On dit que la réaction est égale à l’action. En effet, on se règle souvent sur la conduite de ses adversaires, et les représailles contre un pouvoir équitable et modéré sont contraintes à un peu d’équité et de modération. La monarchie de juillet avait servi de leçon à ses ennemis et par avance désarmé ses vainqueurs. Les partis ont de ces sentimens de justice, et s’imitent l’un l’autre dans le bien comme dans le mal. Un despote met plus du sien dans sa tyrannie et la marque davantage de son caractère individuel.

Cependant, si l’expérience de 1848 semble répondre aux craintes d’un retour de terrorisme, elle n’autorise pas une entière confiance dans une stabilité quelconque. L’orage n’a été ni violent ni durable : ce n’est pas une raison pour compter sur un calme sans fin. Nous devons le savoir apparemment, notre âge est révolutionnaire ; pilotes, matelots ou passagers, nous ne descendons plus un large fleuve paisible ou faiblement agité ; nous avons gagné la pleine mer, et même en temps calme il faut nous attendre à naviguer quelquefois dans la tempête. Nous n’avons point de pacte avec les vents et les flots. Malgré tout ce que le développement inouï de l’industrie, les progrès inouïs de la richesse, l’amour du bien-être et du loisir, la douceur des mœurs et des caractères semblent apporter de secours à l’esprit de conservation, l’esprit de conservation n’a pas trouvé de