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sophe catholique et ce qui leur manque sous le rapport de la critique historique. De même que pour l’histoire universelle de Bossuet on se demande si, en voulant dérouler ainsi à nos yeux les mystères du plan providentiel, le philosophe ne va pas au-delà des conclusions qu’il est permis de tirer des faits. Ces hautes théories séduisent aisément les esprits vigoureux, parce qu’elles donnent l’explication du désordre trop réel des choses humaines en faisant voir dans leur enchaînement la suite naturelle d’une cause unique. Seulement, pour justifier l’idée fondamentale conçue a priori, n’arrivent-elles point souvent à fausser la vérité historique? C’est peut-être le tort de notre temps, en fait d’histoire, de beaucoup trop s’arrêter au côté extérieur, au détail des choses, et d’en négliger les causes mystérieuses, profondes, divines, si l’on veut; mais, comme la plupart des penseurs qui ont voulu créer d’un seul jet une philosophie de l’histoire, M. Bordas me semble tomber dans un autre excès. Il ne tient aucun compte des nuances, des transitions, des préparations, de tout ce qu’il y a de mêlé dans les actions des hommes et dans les situations successives du genre humain. Il outre certains élémens, certains faits; il les donne pour signes caractéristiques de telle ou telle époque, et il ouvre ainsi entre les diverses périodes des abîmes profonds que l’humanité ne peut nécessairement franchir que par l’intervention du surnaturel. Il arrive alors à des conclusions que l’étude de l’histoire dément, à des vues élevées, sublimes même, mais trop souvent contredites par l’humble et sûr travail de l’érudition. Ce n’est pas, on le comprend, à une critique de ce genre que nous voulons nous livrer. Nous dirons seulement que M. Bordas ne nous paraît pas avoir réussi dans sa tentative de prouver la chute et la réparation par une démonstration tirée directement des premiers principes de la métaphysique. Il ne parvient à établir d’une manière rigoureuse ni la convenance absolue de l’union complète de l’esprit humain et de l’esprit divin à l’origine, ni le fait de l’affaiblissement constitutionnel de la pensée dans l’antiquité, ni la nécessité d’une restauration exceptionnelle, unique, et survenue à un moment déterminé de l’histoire. L’ancienne théologie, soutenant que pour une faute infinie il fallait mie satisfaction infinie, et parlant d’une rédemption par le sacrifice et le sang plutôt que d’une réparation de la raison affaiblie, soulève sans doute de nombreuses objections qu’on a fait valoir fréquemment; mais comme elle se contentait de parler à la foi sans se placer sur le terrain philosophique, on ne pouvait exiger d’elle une rigueur de raisonnement et un genre de preuves qu’on est en droit de demander à ceux qui en appellent à la connaissance de l’histoire et à l’étude des facultés de l’esprit.