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est l’unique source de nos idées, de nos moyens de connaître. Cependant, si, pour produire le progrès moderne, la raison humaine a du s’unir plus intimement à Dieu, a-t-elle pu s’élever jusqu’à lui par son propre effort? Suivant le penseur catholique, cela est impossible, car, dit-il, « quand l’homme tomba, ses idées perdirent leur force; cette force leur était nécessaire pour s’unir aux idées divines, et, dans cette union seule puisant cette force, manifestement il fallait qu’elle lui vînt de Dieu. » Telle serait donc la preuve métaphysique a priori de la nécessité de la réparation par une intervention directe de Dieu. Cette nécessité établie, c’est à l’histoire de marquer quand et où la réparation surnaturelle a pris place dans la chaîne des événemens. Or en ce point le doute n’est plus possible : s’il y a eu un réparateur, évidemment ce ne peut être que le Christ, et c’est donc le christianisme qui, fortifiant la raison humaine, a produit la civilisation moderne. En doutez-vous, considérez les peuples non chrétiens : ils sont encore plongés dans les ténèbres ou dans une fausse civilisation pire que la barbarie. Quelle faiblesse d’ailleurs! une poignée d’Européens suffit pour renverser leurs plus puissans empires.

Si les progrès en tous genres dont s’enorgueillit l’Europe viennent du christianisme, ses libertés n’ont pas non plus d’autre source. En effet, c’est parce que sa raison est plus forte que l’homme est capable de se gouverner lui-même, de choisir le culte qui lui convient, de prendre part au gouvernement de l’état. Si les peuples revendiquent leurs droits naturels, c’est parce qu’ils les perçoivent et qu’ils se sentent dignes de les exercer. La fin de l’antique intolérance, la ruine de toutes les théocraties, l’affranchissement de toutes les classes, les conquêtes de la science et de l’industrie, l’accroissement de la richesse, l’union plus intime des nations entre elles, tout cela est dû à une seule cause, l’action réparatrice du christianisme au fond des âmes. De là même l’écrivain catholique concluait qu’il est aussi absurde de voir un antagonisme entre le christianisme et la civilisation moderne qu’entre la cause et ses effets.

On ne peut le nier, ce système simple et grand, qui fait dépendre les destinées du genre humain de l’affaiblissement, puis de la restauration des forces de la raison, cette puissante explication qui suspend toute la chaîne des événemens à un point unique donné par la métaphysique, commandent l’attention, même à qui ne peut y adhérer pleinement. M. Villemain a dit de M. Bordas : « Il regarde plutôt les lois générales de l’humanité que les hommes qui les exécutent ou les faits qui les expriment. » Ce jugement est parfaitement juste; il indique à la fois l’élévation des vues du philo-