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des idées, il l’avait trouvée dans Platon, Plotin, Augustin, Descartes, Bossuet, Leibnitz. Il lui avait peut-être donné une forme plus nette, plus saisissable, c’était du moins son espoir; il l’avait en tout cas complétée par ses deux belles théories sur la substance et sur l’infini. Mais où le penseur, nous semble-t-il, se montre principalement original, c’est quand il demande à ce système métaphysique une explication a priori de l’histoire de l’humanité, c’est quand il prétend découvrir dans la constitution même de la pensée la cause profonde et dernière de la chute des empires anciens et du progrès des états modernes.

Les idées, selon M. Bordas-Demoulin, constituent l’esprit humain; c’est par elles que nous entendons tout ce que nous pouvons entendre et que nous nous représentons les choses, même quand nous n’avons pas conscience du rôle qu’elles jouent dans l’acte de la pensée. Plus nous pénétrons en nous, plus nous pénétrons aussi dans ce qui n’est pas nous, car c’est en saisissant notre propre essence que nous saisissons l’essence des autres êtres. Si les idées de l’être, de l’unité, du nombre, de la substance et de l’accident, du vrai et du faux, du bien et du mal, propriétés de l’âme, nous échappent, nous verrons sans doute avec les yeux du corps, mais les yeux de l’esprit ne percevront pas la raison des choses. Rarement l’esprit arrive à se rendre compte de sa constitution et de ses opérations; ce n’est que par un effort suprême qu’il parvient à se replier sur lui-même et à se voir penser. Ordinairement plongé dans les mots, tous empruntés à la matière, tous images et métaphores, il doit s’arracher complètement au sensible pour raisonner sans cet habituel secours. C’est là le triomphe de la méditation métaphysique. Aussi, dans ce retour sur elle-même, la pensée humaine puise-t-elle une vigueur qui se manifeste en tout sens par des vues et des conquêtes nouvelles.

Mais dans toutes nos idées il entre quelque chose qui dépasse notre être. Nous trouvons en effet dans notre entendement les notions de la nécessité, de l’éternité, de la perfection, et cependant nous ne sommes ni éternels, ni nécessaires, ni parfaits. D’où nous viennent ces notions, puisque nous ne pouvons les tirer de notre propre fonds? Évidemment d’un être qui les possède. Or cet être nécessaire, éternel, parfait, c’est Dieu, et ces idées sont les idées divines, constituant l’entendement divin. C’est donc dans la raison divine que notre raison a sa racine; c’est dans l’union avec Dieu que l’homme, quelles que soient ses croyances, même l’athée, trouve toute connaissance, toute vérité, tout bien. Ainsi la raison humaine, pleinement unie à Dieu, se saisissant en Dieu, y puisant sa vie spirituelle comme l’enfant tire la sienne du sein de sa mère, voilà l’é-