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désespoir à la vue du spectacle que le monde présente maintenant! Non-seulement les peuples qui sont sortis de l’unité, il y a trois cents ans, n’y sont pas rentrés, mais depuis lors ils ont grandi, ils se sont accrus en nombre et en puissance ; ils ont fondé sur l’autre bord de l’Atlantique, et jusqu’aux antipodes, des nations nouvelles, exubérantes de force et de richesse, qui se développent avec une rapidité prodigieuse, et qui ne se courberont jamais sous une autorité dont elles connaissent à peine l’existence. Chez les nations mêmes restées soumises au saint-siège, qu’est devenue la foi antique? Quelle tiédeur chez les uns! quelle aversion chez les autres! quelle indifférence chez la plupart ! On ne discute plus avec révérence comme au XVIIe siècle; on n’attaque plus avec passion comme au XVIIIe : on se tait et on s’éloigne. Allons-nous au-delà du vrai en parlant ainsi ? Il ne semble pas, puisqu’un grand écrivain, salué alors par les applaudissemens de tous les vrais croyans, a pu faire de l’indifférence en matière de religion la marque propre et comme le stigmate de notre temps.

Mais ce mal, tout grand qu’il soit, n’est pas le pire. La difficulté est plus formidable encore, et elle s’est singulièrement aggravée dans ces dernières années. Un dissentiment profond s’est élevé entre l’église et cet ensemble vivant de faits, de principes, d’aspirations, qu’on appelle la civilisation moderne. Toutes les libertés dont s’enorgueillissent les peuples qui les possèdent, et vers lesquelles s’élancent avec ardeur ceux qui en sont privés, ont été du haut du Vatican réprouvées, condamnées comme une source de désordres et de crimes, comme un fléau, comme une peste. Il est superflu de rappeler ici les termes de ces regrettables anathèmes, dont certains catholiques, plus éclairés ou plus prudens, ont voulu atténuer la signification. Le fait n’en subsiste pas moins : il serait puéril de le nier, inutile de vouloir en dissimuler les conséquences : la guerre est déclarée aux principes mêmes sur lesquels repose l’ordre social actuel, et malheureusement, parmi le clergé, le nombre de ceux qui la soutiennent en prenant le mot d’ordre à Rome s’accroît chaque année. Déjà, dans plus d’un pays, cet antagonisme a créé le nom des partis, et la lutte tend à se généraliser chez toutes les nations catholiques avec des caractères semblables. Partout la société moderne veut se constituer, se développer, marcher en avant, et elle se soulève contre ceux qui s’obstinent à la ramener vers un régime tombé pour toujours; elle est avide d’un meilleur avenir, et elle repousse cette ombre du passé qui veut mettre la main sur elle, ou, pour emprunter l’énergique expression de M. Guizot, « ce vieux fantôme qui ne la comprend pas, ne l’aime pas et prétend la ressaisir. »

Tel est le redoutable conflit qui éclate au sein des états et au