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s’étonneront peut-être qu’en parlant des nations catholiques nous nous soyons servi du mot de crise. Pour leur répondre, je pourrais me contenter d’invoquer une autorité que certes elles ne récuseront pas, celle même du souverain pontife. On sait assez en effet, par les pièces qui depuis quelques années émanent du Vatican, que le monde catholique semble offrir aux yeux du chef de l’église plus de motifs de tristesse et de lamentations que de sujets de joie et de triomphes, et que c’est à peine si les paroles les plus désolées de l’Ancien Testament sont assez fortes pour peindre l’amertume dont ce spectacle remplit son âme. Toutefois cette réponse, bonne pour l’argumentation, ne suffit pas pour éclairer le point qui est en discussion. Il faut aller plus loin ; il faut caractériser la situation telle qu’elle se présente maintenant, telle même qu’elle apparaissait déjà, il y a longtemps, à des esprits supérieurs, parfaitement placés pour la bien juger.

Appuyée sur cent passages de l’Écriture, tous prophétiques suivant les interprétations orthodoxes, l’église ne peut renoncer à la glorieuse ambition de réunir un jour dans son sein les divers peuples de la terre. Et cependant depuis la réforme tout semble se tourner contre ces magnifiques espérances. Déjà même, à la vue des événemens qui s’accomplissaient de leur temps, Bossuet et Fénelon ne pouvaient contenir l’expression de leur douleur, de leurs angoisses. Écoutez l’archevêque de Cambrai : « Une sagesse vaine et intempérante, une curiosité superbe et effrénée emporte les esprits. Le Nord ne cesse d’enfanter de nouveaux monstres d’erreur. Parmi les ruines de l’ancienne foi, tout tombe comme par morceaux. Un bruit sourd d’impiété vient frapper nos oreilles, et nous en avons le cœur déchiré. L’instruction augmente et la foi diminue. La parole de Dieu, autrefois si féconde, deviendrait stérile, si l’impiété l’osait. Le péché abonde, la charité se refroidit, les ténèbres s’épaississent, le mystère d’iniquité se forme. Le flambeau de l’Évangile, qui doit faire le tour du monde, achève sa course. Dieu! que vois-je? Où sommes-nous? Le jour de la ruine est proche, et les temps se hâtent d’arriver. » Quel tableau ! quels accens dignes de Jérémie! quelle anxiété profonde, et, pour l’exprimer, quelle sublime éloquence ! Bossuet lui-même, qui, sans se lasser et d’une voix si superbe, avait défendu, exalté l’orthodoxie, se sentait pris de découragement vers la fin de sa vie. « L’église, disait-il, depuis quelques siècles, porte l’opprobre d’une espèce de stérilité. Loin d’enfanter à Jésus-Christ de nouveaux peuples, elle se voit tous les jours enlever ses propres enfans par l’hérésie et le schisme. » Si telles étaient les tristesses et les craintes de ces deux grands représentans de l’église au XVIIe siècle, quel ne serait point leur