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aussi que l’esprit économique, qui supplante l’esprit religieux, que l’esprit philosophique, qui le contrôle, se montrent avec plus de liberté que par le passé ; mais rien ne prouve que cette coexistence, cette concurrence de principes divers ait abouti à la victoire définitive, à l’exclusive domination de l’un d’entre eux, et que la religion ou même la philosophie ait sans retour fait retraite devant le positivisme polytechnique. Notre siècle n’est pas après tout déshérité de métaphysique, et la renaissance religieuse est un fait que des aveugles seuls pourraient ne pas voir. Le vrai, c’est que, grâce à la libération universelle des intelligences, avant-courrière de celle des peuples, toutes les mines du savoir sont ouvertes et exploitées ensemble, toutes les puissances de notre nature sont ensemble à l’œuvre, tout contribue à la richesse morale du monde, et aucune faculté de l’homme ne chôme ; tout se développe à la fois dans le concours universel. Ici pourtant survient un critique d’une vue plus haute, et qui, sans s’expliquer davantage sur l’objet de la religion, l’appellera le sentiment de l’infini et de l’idéal ; seulement il se gardera de me rien apprendre de cet idéal et de cet infini, rien par conséquent de ce qu’il m’importe de savoir. L’un répond-il à une réalité, et l’autre en est-il une ? Si oui, quelle est-elle ? Si non, d’où vient ce sentiment sans objet, et comment résolvez-vous ici le problème de l’accord de l’existence et de la pensée ? S’il faut, dans la religion, regarder à ce qu’on sent, non à ce qu’on croit, non à ce qu’on sait, la foi et la science religieuse, comme toute foi et toute science, se bornent à ceci : l’esprit pense successivement et dans un certain ordre diverses choses, et du reste il n’y a rien. Ce problème, la critique historique ne l’éclaire que peu, le positivisme pas du tout. La disposition à la religion, transitoire suivant l’un, permanente suivant l’autre, est pour tous deux une capacité vide que le temps remplit comme il peut, un mouvement vers un but qui pourrait ne pas exister. Comment prétendre qu’une telle théorie de la religion puisse suffire à l’homme et contenter son cœur et son esprit ?

Autre exemple. L’histoire est remplie du récit des violences de l’intolérance religieuse ou des excès que les gouvernemens se sont permis pour soumettre les peuples à la rigueur du culte qu’ils protégeaient. Qu’elle soit inspirée par le fanatisme ou par la politique, l’oppression des consciences est une égale iniquité. Cependant comment est-elle considérée par les historiens qui ne se piquent que d’être observateurs ? Comme le simple effet des convictions d’une époque, comme la condition de l’existence de certaines institutions, comme la sanction de l’unité de croyance et de culte qu’exigent ou comportent, certains états de la société ou certaines nécessités de gouvernement. Sous le prétexte qu’il ne faut pas juger des actions