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une seule grande salle. Dans cette même salle, les directeurs, les secrétaires et les commis travaillaient tous ensemble, rangés sur différens sièges, selon la place qu’ils occupaient dans la hiérarchie administrative. Les commencemens furent obscurs et laborieux. Si restreintes que fussent alors les transactions de la Banque d’Angleterre, cet établissement ne laissa point que d’exercer dès l’origine une influence sur le commerce et sur la vie politique du pays. Il fit baisser le taux de l’intérêt, accrut la circulation des valeurs, et surtout arracha la nation aux mains des traitans (extortionners). Il faut savoir que jusqu’en 1694 le gouvernement anglais était à la merci des prêteurs. Avec le temps et les embarras du trésor, les emprunts royaux étaient même devenus d’une négociation très difficile. Les rois étaient obligés d’envoyer leurs agens dans la Cité, surtout dans Exchange-alley, pour mendier de l’argent. Mendier est bien le mot, car le fier Henri VIII lui-même l’implorait comme une grâce et une faveur (a matter of great grace). Qui s’étonnerait de cet ancien état de choses ? On peut bien attaquer l’aristocratie par le fer et par le feu, envoyer les barons et les évêques à la Tour de Londres, démolir les abbayes ; mais allez donc rudoyer l’argent ! Emprisonner les négocians, c’eût été tarir les sources de la richesse publique. Les souverains les plus absolus en étaient donc réduits à courtiser cette puissance mystérieuse de l’or, qui se retire et se contracte sous la violence. À ce point de vue, la fondation de la Banque d’Angleterre doit être considérée comme un grand fait social. Dans un temps où la nation anglaise commençait à se constituer sur le principe de liberté, elle servit de lien entre le peuple et le gouvernement. D’une part, elle ressuscita la confiance des capitalistes ; de l’autre, elle releva la dignité de l’état. Faut-il ajouter qu’elle contribua dès lors à développer sur une grande échelle la puissance de l’élément commercial ? On ne connaît point assez l’importance des marchands de la Cité dans l’économie de la société anglaise. Il y a d’autres corps plus élevés, qui paraissent davantage ; mais il n’y en a guère, en définitive, qui pèsent d’une influence plus réelle sur la direction des affaires publiques. Toutes les grandes entreprises exigent de l’argent, et les marchands de la Cité tiennent les cordons de la bourse de l’état. Ces conséquences se développèrent du vivant même de Paterson : la Banque était à peine fondée, qu’elle contribua au succès de la campagne de 1695. Il était pourtant écrit que les deux hommes qui avaient mis la main à cette œuvre considérable devaient rencontrer une fin malheureuse. Godfrey, le zélé coadjuteur de William Paterson, entreprit la tâche périlleuse de porter de l’argent à Guillaume III, qui assiégeait alors Namur ; mais pendant qu’il causait avec le roi dans les tranchées, il fut tué d’un coup de canon.

La Banque d’Angleterre a traversé depuis ce temps-là des for-