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bout de deux mois sur les côtes de l’isthme, ayant perdu seulement quinze hommes dans la traversée ; mais au lieu de trésors inouïs qu’on s’attendait à découvrir, elle trouva la maladie, la famine et l’épée des Espagnols, qui virent d’un œil jaloux s’établir à côté d’eux une colonie rivale. Comme si ce n’était point encore assez d’avoir à lutter contre le désert, un climat dévorant pour les hommes du nord et contre des ennemis naturels, les émigrés eurent surtout à essuyer les hostilités du gouvernement anglais, qui les poursuivit jusqu’au-delà des mers. La fameuse compagnie des Indes, East India company, n’avait pas vu sans ombrage s’élever un projet qui menaçait son monopole, et elle s’était servie de son influence, de ses amis nombreux et puissans pour tourner le cœur de Guillaume III contre l’expédition darienne. L’Écosse, après huit mois, ne recevant aucune nouvelle, envoya une seconde expédition de treize cents hommes pour renforcer la première ; la traversée fut mauvaise, un vaisseau se perdit dans la tempête, un grand nombre de passagers moururent à bord des autres navires ; ceux qui survivaient, exténués et dispersés, n’arrivèrent que pour assister à l’agonie de leurs frères qui les avaient précédés. Assaillis par tous les maux à la fois, les colons écossais tinrent ferme jusqu’au dernier moment ; leur sort toucha de pitié les ennemis eux-mêmes. De tous ceux qui étaient partis, trente seulement revirent le port de Leith : encore au moment du départ ressemblaient-ils moins à des hommes qu’à des ombres ou à des squelettes ; c’est à peine s’ils eurent la force de lever l’ancre ; parmi ces derniers était William Paterson. Cette désastreuse expédition a laissé en Écosse de poignans souvenirs que le temps n’a point effacés ; la légende a même ajouté le sentiment du merveilleux à une calamité nationale. C’est une tradition parmi les paysans du Roxburyshire qu’une nuit, — nuit fatale où mourut dans l’isthme de Panama le fils du laird de Torwoodle, — toutes les cloches du château se mirent à sonner le glas, agitées par une invisible main. Après une telle catastrophe, je crains bien que dans les pays où l’on ne juge de la valeur des hommes et des entreprises que par le succès, la mémoire de William Paterson n’ait été à jamais obscurcie ; mais chez nos voisins, où l’on fait la part du mérite et celle du malheur, le fondateur de la Banque d’Angleterre et de la Banque d’Écosse jouit encore d’une réputation qui a résisté aux revers de la fortune.

La banque naissante, connue dès l’origine sous le nom de the Governor and company of the Bank of England (gouverneur et compagnie de la Banque d’Angleterre), fut d’abord installée dans Mercer’s hall (hôtel des merciers), où elle ne resta que quelques mois, puis transférée dans Grocer’s hall (hôtel des épiciers), où elle occupait