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remonte aux principes de l’éducation, oppose la nature à l’histoire, et tient pour néant ou pour abus tout ce que la marche des siècles a créé d’institutions, de coutumes ou de croyances. Voltaire ne peut revenir de son étonnement quand il songe que les hommes ont été assez sots pour ne pas toujours penser comme lui. Cette élimination du passé, cet oubli de la tradition, cette omission du devenir a produit dans la science plus d’une lacune et engendré de graves erreurs et d’imprudentes applications. Il n’était pas inutile qu’une réaction se déclarât, et que le devenir, digne de tant d’attention, rentrât dans le champ de l’observation scientifique. Ceux qui ont proposé de compléter la théorie par l’histoire, de donner celle-ci, sous le contrôle de la raison, pour base à celle-là, ont donc rendu un service utile et opportun, et récuser leurs conseils serait une haute imprudence ; mais cette fois, comme toujours, il faut craindre de remplacer un excès par un autre. Il y a en tout deux élémens, un élément stable, un élément variable ; il y a la cause et les effets, le fond et la forme, la nature et les accidens, ce qui dure et les phénomènes qui remplissent la durée. Telle est l’universelle condition de l’être. Contempler uniquement le fond permanent des choses, indépendamment de tout ce qui change et de tout ce qui survient, ce serait vouloir construire intégralement une machine avec des conceptions linéaires et des notations d’algèbre. L’homme qui voudrait se rendre raison des choses en ne tenant compte que des accidens de. l’existence ressemblerait à celui qui prétendrait que le système du monde aurait pu être connu sans les mathématiques.

Il faut d’autant plus insister sur ces considérations, que les représentai de l’école critique justifient leur influence par une supériorité plus éclatante et de plus rares talens. Il est à peine nécessaire de rappeler le haut rang qu’occupe M. Sainte-Beuve parmi ceux qui aspirent à l’art difficile d’apprécier les opinions, les caractères et les œuvres de tout ce qui a marqué dans l’histoire par les dons de l’esprit. Quel juge a fait preuve d’une sagacité plus flexible et d’une délicatesse plus pénétrante ? Un auteur plus jeune, et qu’il n’est pas nécessaire de nommer aux lecteurs de cette Revue, a porté dans l’étude des langues, des religions et des arts, avec la nouveauté et là hardiesse des vues, une érudition germanique et l’imagination d’un grand écrivain. — Où trouver encore un savoir plus étendu, plus solide et plus varié, plus d’exactitude et de sincérité dans les recherches que dans les doctes écrits de M. Maury ? Avec les ressources d’un esprit philosophique, avec la vigueur qui s’acquiert par la méditation assidue des plus grands problèmes de la vie, M. Scherer unit un courageux amour de la vérité et le don d’exprimer avec élégance et clarté des jugemens pleins de justesse et de