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jamais perdre ses droits, et même en face de Moïse il garde son franc parler. Ce n’est pas nous qui applaudirons à cette hardiesse ; nous la constatons comme une preuve du lien qui unit cet ouvrage à tant de publications récentes.

Et puis, pourquoi ne dirions-nous pas toute notre pensée ? après un livre comme la Vallée du Nil, la terre des Pharaons a beaucoup perdu de son prestige. La Haute et Basse-Égypte s’offrent à vous comme un vaste et riche musée dont un guide instruit et aimable vous fait les honneurs avec une grâce parfaite. Lisez-le attentivement, ce livre, et n’eussiez-vous jamais quitté les bords de la Seine, vous croirez avoir accompli vous-même le pèlerinage qui vous est raconté. Les étapes sont marquées ; vous saurez à quelle hauteur s’est élevé le thermomètre tel jour, à telle heure ; vous avez affaire à des voyageurs qui prennent note de tout, et non à des rêveurs qui s’abandonnent aux caprices de leur humeur mélancolique. Mais si vous avez eu le bonheur de contempler vous-même les rives mystérieuses du Nil, si vous voyez encore, dans le lointain de vos souvenirs, les pyramides surgir comme des ombres au seuil du désert, et les minarets se refléter en tremblant dans les eaux du grand fleuve, vous sentirez ces vagues images pâlir et s’effacer devant la réalité qui s’offre à vous. C’est que tout était ébahissement et surprise pour les voyageurs de notre temps ; le calme de ces silencieuses campagnes, au milieu desquelles on n’apercevait que des buffles noirs se baignant parmi les joncs et çà et là de maigres chameaux couchés dans la plaine, nous accablait d’une tristesse profonde, et pourtant nous admirions. Nous étions trop stupéfaits pour chercher à comprendre, trop intimidés pour essayer de pénétrer les mystères de cette antiquité si imposante. Ce qui frappait nos regards nous faisait l’effet d’un songe, et nous nous demandions de quel droit nous osions fouler cette terre célèbre. Aujourd’hui ceux qui visitent ces contrées ne peuvent éprouver des sensations de cette nature ; ils doivent donc les décrire d’une façon toute différente. La route qu’ils suivent, bien d’autres l’ont parcourue avant eux, et comme il ne leur reste rien d’absolument nouveau à faire connaître, il faut qu’ils abordent franchement les questions d’histoire et d’art qui se présentent en Égypte plus nombreuses qu’en aucun pays de la terre. Cette tâche, les auteurs de la Vallée du Nil l’ont remplie avec talent, et c’est par ce côté surtout que leur livre se recommande au lecteur studieux. En examinant avec eux les monumens de Thèbes et de Karnak, on se convainc que l’antiquité savait produire des œuvres puissantes qui sont au-dessus de nos forces. Il y a dans cette architecture gigantesque, et pourtant pleine d’harmonie dans ses proportions, la preuve d’une science consommée. Là se sont épanouies des sociétés civilisées, douées d’une vitalité prodigieuse, habituées à créer de grandes choses ; là s’est développée largement une théocratie intelligente qui résumait dans ses mythes profonds et savans tout ce que l’étude attentive des lois naturelles lui avait révélé. Là aussi ont régné des despotes, des conquérans superbes ; tout semblait si bien