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rôle de l’héroïne, y a mis beaucoup d’esprit, de gaîté et de grâce facile ; mais pour donner à cette fille de l’Océan la physionomie que lui prête la légende, il aurait fallu des accens et un rayon de fantaisie que Mlle Girard ne possède pas. M. Battaille a été singulier dans le personnage bizarre de Fraisondin, qui a dû lui coûter bien de la peine, et dont il a composé la physionomie avec plus de savoir que d’instinct. M. Battaille, qui est au théâtre depuis tant d’années, n’a jamais pu se dépêtrer d’un certain accent vieillot qu’il prête à tous les personnages qu’il représente. Cet artiste, qui a tant de qualités peu communes, est moins un chanteur et un comédien qu’un professeur émérite qui pose devant le public comme devant une classe remplie d’élèves. Je ne veux pas oublier de dire un mot de M. Cabel, beaufrère de la cantatrice, qui a chanté avec goût, et une assez belle voix de ténor, plusieurs morceaux du rôle de Rodolphe, dont il était chargé. Si M. Cabel parvient à donner à sa voix un peu plus de souplesse et d’accent, il peut espérer de conquérir une réputation honorable dans la carrière qu’il parcourt.

Le sujet féerique d’Ondine avait été mis plusieurs fois, je l’ai dit, au théâtre au-delà du Rhin. Il existe surtout en Allemagne un opéra très populaire, la Fille du Danube (das Donauweibehen), dont la musique facile est d’un certain Ferdinand Kauer, qui en a composé des centaines comme cela. Kauer, qui est mort à Vienne en 1831, âgé de quatre-vingts ans, était l’Offenbach de l’époque ; mais ce qui est plus curieux à savoir, c’est que le merveilleux conteur Hoffmann a fait un opéra romantique sur ce même sujet, et dont le libretto était du poète La Mothe-Fouqué, l’auteur même de la légende devenue si populaire. Voici en quels termes Rochlitz, un savant critique musical et l’ami d’Hoffmann, raconte cet événement : « Hoffmann pria le poète Fouqué de lui arranger l’Ondine pour un grand-opéra romantique. Le poète, qui aimait à obliger ses amis, fit vite ce qu’Hoffmann désirait. Hoffmann oublia, dans cette circonstance, que jamais un bon roman ne peut faire un bon drame. Hoffmann se mit à la composition de la musique avec son ardeur habituelle, sans perdre un instant ; il avait fini avant de partir pour Berlin. Là il se présenta au théâtre. Je n’ai pas assisté à la représentation, mais le compositeur m’avait communiqué la partition avant la représentation. Les journaux ont rapporté que la pièce avait eu quelque succès, mais fort peu. Quelques chants ont plu, on les trouva pleins d’expression et d’originalité : on remarqua des caractères assez bien tracés, surtout ceux d’Ondine et de Kahleborn ; mais en somme ce n’était pas un ouvrage vrai. Hoffmann ne voulut jamais se décider à changer quelque chose à son œuvre, et il traitait ceux qui l’avaient critiqué de vieux badigeonneurs stupides. Lui qui avait critiqué tout ce qu’il y a sous le soleil s’emporta jusqu’à dire : « Mon Dieu ! que ne puis-je écrire une critique sur la critique pour l’avaler d’un seul coup et la tuer avec la mienne ! » Weber, qui était à Berlin lorsqu’on représenta en 1816 l’opéra d’Hoffmann, a porté sur sa musique un