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teindre, et c’est une grande piperie de l’esprit que de mesurer les choses fugitives de la vie à de prétendues lois immuables de la raison et de la conscience qui n’existent que dans les systèmes des philosophes. Descendez donc de ces hauteurs métaphysiques où vous ne voyez que des nuages, mêlez-vous à cette troupe joyeuse de beaux esprits qui mènent l’opinion et qui chantent la vie avec un entrain admirable, soyez facile au monde, aux jeunes et aux chefs-d’œuvre naissans, et ne vous fâchez pas tout rouge pour une vocalise mal faite ou pour un rhythme boiteux : ce sont là des choses futiles dont l’imperfection ne trouble ni la paix de l’âme ni l’ordre de la société. Les arts sont un amusement, un luxe de l’existence, et la musique surtout n’a de prise que sur la sensibilité. Y voir autre chose et prétendre que la langue de Palestrina, de Gluck, de Mozart, de Beethoven et de Rossini, renferme des beautés durables et des profondeurs qu’on ne trouve dans aucun autre art, est une folie des mystiques allemands ou des songe-creux. Tout change dans ce monde, tout se modifie incessamment, et il n’y a d’immuable que la mobilité de l’esprit humain.

Il y a longtemps qu’une certaine classe d’hommes et d’esprits tient ce langage, car le sophiste Gorgias ne pensait point autrement. Pour nous, humbles que nous sommes, nous croyons appartenir à une autre famille intellectuelle, à celle qui croit aux notions primordiales et éternelles du vrai, du juste et du beau, et qui s’efforce de poursuivre dans la vie comme dans l’art un idéal qui, fût-il une chimère, vaudrait encore mieux que toutes les réalités. Voilà le principe qui sert de base à notre critique et qui nous autorise à mépriser les injurieuses attaques de vulgaires contradicteurs.

Le Théâtre-Lyrique a donné, le 9 janvier, la première représentation d’un opéra-comique en trois actes, Ondine dont la musique est de M. Théodore Semet. Le sujet du libretto est tiré d’une très jolie légende du poète La Mothe-Fouqué, qui est très populaire en Allemagne, et qui a été mise plusieurs fois au théâtre. Il faut avouer que MM. Lockroy et Mestepès, qui ont arrangé pour M. Semet la donnée de La Mothe-Fouqué, n’ont pas eu la main heureuse, et qu’ils ne pouvaient pas faire une pièce plus obscure et plus absurde. Il y avait autrefois un humble ménage de pécheurs dont le mari se nommait Ulrich et la femme Martha. Ils étaient vieux, et tout leur bonheur était concentré sur une petite fille qu’ils aimaient à voir jouer dans la prairie voisine. Cette petite fille, qui se nommait Bertha, disparut tout à coup et fut enlevée par un grand seigneur qui n’avait pas d’enfans et qui l’adopta comme sa fille. Un jour cependant les deux vieillards aperçurent au bord d’une rivière une petite fille aussi qui semblait leur avoir été envoyée par la destinée pour remplacer celle qu’ils pleuraient. Ils la recueillirent et l’élevèrent comme leur enfant dans la simplicité de leurs mœurs et de leur condition. Cette fille toute radieuse de grâce était un être mystérieux, une ondine, une fille des eaux lancée sur la terre on ne sait par qui, pour éprouver les passions des hommes. Ondine grandit, devient