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de sa conscience. Nous n’avons pas à discuter ici le concours des circonstances qui ont mis dans ses mains le pouvoir suprême, mais nous avons le droit de dire que la position qu’il occupe est inouie dans l’histoire. Une les autres soient surtout frappés des avantages et du prestige de cette position ; quant à lui, il a trop réfléchi sur la politique et il connaît trop bien l’histoire pour n’en pas sentir les perplexités grandioses. La singularité exceptionnelle de sa position consiste en ceci : il dépend de lui de rétablir, dans la mesure qu’il voudra, la liberté politique en France. Et la question du rétablissement de la liberté, c’est lui-même qui la pose, c’est lui-même qui la donne à couver à la pensée publique. On n’a jamais rien vu de si dramatique. On peut se figurer, sans indiscrétion, quelques-unes des pensées qui doivent assiéger l’esprit de l’empereur. Dans le feu de la réaction qui suivit la révolution de 1848, un orateur qui ne voulut jamais modérer ses emportemens demanda un jour pour la France le bienfait de vingt années de silence. Voici onze ans que le silence dure. Faut-il le prolonger jusqu’à la fin de la vingtième année ? Car aucun esprit sensé et honnête ne songera que cette pénitence, de quelques compensations qu’on veuille l’entourer, puisse durer éternellement. Il viendra inévitablement un moment où les langues seront déliées, où les esprits reprendront l’essor. Faut-il abandonner la fixation de cette heure d’émancipation au hasard des accidens ? ne serait-il pas plus raisonnable et plus prudent de la marquer soi-même avec prévoyance et maturité ? L’esprit réfléchi de l’empereur a dit, depuis longtemps, peser cette alternative, qui n’intéresse pas moins le succès de sa carrière que la vie morale de la France. Ses déclarations le prouvent : il n’est pas de ceux qui croient que les sociétés modernes puissent longtemps vivre avec sécurité et avec grandeur sans liberté. La monotonie du silence, interrompu par le rhythme mécanique de l’action administrative, ne doit être fatigante pour personne autant que pour lui. Plus il lui a été donné, dans sa carrière, de faire acte lui-même de spontanéité énergique, et plus il doit comprendre l’injuste torture dont souffrent, au milieu des entraves actuelles, ceux qui sont mis dans l’impuissance de donner carrière à leur énergie spontanée. Que de forces vives paralysées, que de talens étouffés ! que de ressources pour l’activité morale et la splendeur du pays frappées de stérilité ! Et il suffit de la parole d’un seul, d’une sorte de fiât créateur, pour qu’éclate une floraison nouvelle avec la force et la grâce de la vie véritable ! Quel vaste et pressant sujet de méditation pour l’empereur ! Comment ceux qui, comme nous, s’attachent avec une persévérance infatigable au problème de la liberté ne suivraient-ils pas avec anxiété les mouvemens de la pensée impériale, et ne salueraient-ils pas comme un heureux présage toute parole de l’empereur où se trahit la préoccupation de l’avenir libéral de la France ?

Lire avec impartialité dans la pensée impériale n’est pas le seul devoir que nous nous efforcions de pratiquer. Nous comprenons aussi, et nous l’avons prouvé plus d’une fois, les anxiétés inhérentes à la situation de