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manœuvres et l’école de tir. Vous avez fortifié Portsmouth. Vous avez ajouté je ne sais combien de pence à votre taxe du revenu. Voyez la fin : au lieu de la guerre, vous avez eu le traité de commerce. Ce sont nos industriels qui ont réalisé les menaces de nos troupiers. Ces menaces se sont évanouies en une comparaison spirituelle. En France, le ridicule tue, et c’est l’empereur lui-même qui vient, avec une bonne grâce justement applaudie, d’attacher le ridicule mortel au fantôme de l’invasion !

À moins d’être incurables dans leur humeur grondeuse, les Anglais, après le dernier discours impérial, doivent rire de bon cœur de leur ancienne panique. Influence bienfaisante du badinage, à laquelle il nous est donné, à nous aussi, de participer, car si à l’adresse de l’Angleterre il a parlé de paix avec un sourire, à l’adresse de la France l’empereur a prononcé le nom souriant de la liberté ! C’est bien là, diront les maussades, le badinage tel qu’il est défini par Montesquieu, « qui amuse en ce qu’il semble promettre à chaque instant ce qu’on ne peut tenir qu’à de trop longs intervalles. » Quand il en serait ainsi, cet amusement aurait encore pour nous de grands charmes. Si l’empereur parle de la liberté même à l’état de simple espérance, son dessein apparemment n’est point de demeurer seul à en parler. Il nous donne un exemple, il cherche un écho à ses paroles. Qu’on remarque le progrès accompli. Il y a peu d’années, de mauvais plaisans prétendaient, non sans un air de vérité, qu’en matière de liberté la France ne travaillait que pour l’exportation. Le discours de l’empereur est une fine et concluante réponse à cette raillerie. Nous présentant le modèle de l’Angleterre, il nous invite, si l’on nous permet d’employer encore la langue inélégante du commerce, à considérer maintenant la liberté au point de vue de l’importation. Il dit à quelles conditions la liberté existe en Angleterre, et il s’écrie : « Travaillons donc de tous nos efforts à imiter de si profitables exemples ! »

On ne trouvera pas que nous manquions aux lois du bon goût, si nous avouons que nous ne sommes point d’accord avec l’empereur sur les conditions de la liberté dont il admire les œuvres en Angleterre. « La liberté anglaise, dit-il, respecte toujours les bases sur lesquelles reposent la société et le pouvoir. » Il semble, d’après le tableau animé qu’il trace de la liberté anglaise, que le respect du pouvoir ait été la condition de son triomphe et de son affermissement. Cette théorie n’est point, à notre avis, confirmée par l’histoire. Nous pourrions, puisque nous sommes en train de consulter Montesquieu, rappeler ce jugement fameux qui résume en quelques lignes magistrales toute l’histoire de la liberté anglaise : « L’Angleterre, où l’on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition ; le prince toujours chancelant sur un trône inébranlable ; une nation impatiente, sage dans sa fureur même… « Aujourd’hui, comme au temps de Montesquieu, quand on admire la force de conservation que la liberté a donnée à l’Angleterre, il faut se garder de confondre l’effet avec