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quante ou soixante siècles n’ont pas encore acquis une épaisseur suffisante pour niveler les précipices. Les chaînes de montagnes sous-marines doivent donc être un chaos en comparaison des Alpes ou des Cordillères. Quelques sondages faits avec beaucoup de soin à des intervalles très rapprochés dans les régions où les expéditions précédentes ont signalé des plongées subites suffiraient pour trancher cette question, non moins intéressante pour l’ingénieur que pour le géologue.

Les premiers spécimens du sol de la mer profonde qui furent ramenés du fond de l’Atlantique avec l’appareil de Brooke se composaient uniformément d’une boue farineuse, douce au toucher et transparente, que les Américains ont nommée ooze ou bien oaze, c’est-à-dire vase, parce qu’elle paraissait analogue aux matières vaseuses qui s’accumulent dans les marais. Ces spécimens, soigneusement étiquetés et conservés, furent rapportés à l’observatoire de West-Point. Les professeurs Bailey et Ehrenberg, qui les examinèrent, y virent un amas de coquillages microscopiques siliceux et calcaires, sans aucun mélange de sable ou de gravier. La plupart de ces coquilles si délicates et si fragiles étaient dans un état parfait de conservation, et contenaient encore une pulpe molle de nature évidemment charnue. Un peu plus tard, les sondages faits dans le Pacifique, entre les îles Philippines et les îles Mariannes, donnèrent d’autres échantillons d’oaze dont la composition était la même; toutefois l’élément siliceux était plus considérable. Plus récemment enfin, les sondages de la Méditerranée et ceux de l’Atlantique nord dans le voisinage du Groenland ont encore révélé un dépôt de coquillages microscopiques. Le sol de la mer profonde présente donc partout une uniformité remarquable. La plupart des petits êtres qui le composent appartiennent à des espèces connues que l’on retrouve, soit fossiles, soit vivantes, dans toutes les eaux douces ou salées, sous les tropiques et dans la glace des mers polaires : ce sont les diatomacées, qui se multiplient sur les côtes avec une rapidité alarmante pour la navigation, les rhizopodes, dont la coquille se replie sur elle-même pour absorber sa proie, les globigérinées, qui s’agglomèrent entre elles et forment des masses compactes, en quelque sorte des ruches calcaires. Aux anciens âges de la terre, alors que les eaux recouvraient le sol que nous habitons aujourd’hui, ces espèces s’entassaient déjà peu à peu et formaient les couches de marne que nous avons sous les pieds. Leur fonction (car tout être vivant a une fonction à remplir dans la nature), leur fonction est de distiller l’eau de mer, d’en extraire l’excédant de sels qu’apportent incessamment les fleuves, et de la maintenir dans l’état de salure qui convient le mieux aux innombrables habitans de l’Océan. Les