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si incertain; cependant l’on peut affirmer que la plupart saisissent la moindre occasion de diminuer par le travail leur dépendance de la charité, et les livres des comités sont remplis d’exemples d’ouvriers qui, ayant pu travailler un jour, rapportent scrupuleusement les bons de secours qu’ils avaient reçus pour cette journée. D’ailleurs, pour prouver que c’est une bien rare exception de voir les ouvriers préférer une vie misérable, mais oisive, à un travail lucratif, il suffit de dire que le comité central, ému des accusations portées à ce sujet dans les journaux, a demandé aux filateurs de lui dénoncer tous les cas où ce refus de travail pourrait être prouvé. Depuis lors on ne lui en a pas signalé un seul.

Ma course dans le Lancashire se terminait à Blackburn la veille du jour de l’an. « Avant d’aller fêter ce jour en famille, me dit-on, il faut que vous veniez voir comment nous célébrons la semaine de Noël avec la grande famille qui se compose de tous les pauvres de notre ville. » Une gravure de Punch représente John Bull qui, avant d’entamer lui-même le pudding de Noël, entasse sur les épaules de l’ouvrier du Lancashire tout ce qui lui est nécessaire pour passer joyeusement cette fête nationale. En effet, d’après les idées anglaises, il faut que ce jour-là tout le monde soit content, et surtout ait l’estomac bien rempli. C’est ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps aux ouvriers de Blackburn. Aussi la plupart des ministres religieux de cette ville se sont-ils réunis pour leur donner à tous un dîner de Noël. On ne pouvait adresser à ceux-ci les mêmes critiques qu’au lord-maire pour ce fameux dîner payé sur la souscription générale. En effet, une souscription spéciale avait été ouverte à Blackburn pour ce dîner, et pas un penny n’avait été détourné des fonds généraux destinés aux secours. Cette collecte a permis de donner un dîner de la valeur d’environ 1 shilling par tête à tous les Individus recevant alors des secours dans les écoles de Blackburn. Chaque prêtre ou ministre devait amener son école. La grande salle de l’hôtel de ville devait recevoir successivement toute cette population à des jours différens, l’espace ne permettant pas de donner à dîner à plus d’un millier de personnes à la fois. Des jours avaient été fixés pour les hommes, les femmes et les enfans. C’est au dernier dîner des hommes qu’on me proposait d’assister.

À midi et demi, la ville, si morne tout à l’heure, prenait un air de fête inusité. Les écoles sortaient précédées des ministres en robe et quelquefois aussi de tambours; toutes sortes de bannières ornaient la procession. Il y a trente ans, de pareilles démonstrations dans un moment de crise comme celui-ci auraient infailliblement amené des troubles; mais depuis lors les esprits ont fait bien des progrès. Les bannières ne portent d’autre inscription que God save