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est la situation à laquelle quelques mois de chômage ont réduit les deux tiers de cette population : misère qu’il faut comparer non pas à celle des pauvres ordinaires, mais à l’aisance relative qui l’avait précédée, pour en mesurer l’amertume.

Un vaste champ est ouvert aux visiteurs envoyés par les comités au milieu de cette population pour connaître et soulager ses souffrances. Leur enquête porte principalement sur le nombre des membres de la famille, sur les vêtemens engagés, le prix du loyer, le salaire que l’on gagnait in full time, enfin sur les secours que la famille reçoit peut-être déjà d’un autre côté. Les pauvres répondent à M. Birch avec dignité et simplicité; la plupart n’ont jusqu’ici jamais demandé de secours à personne. Je me rappelle deux sœurs jumelles qui, me disait M. Birch, avaient refusé, il y a un mois, d’accepter de lui un souverain. Leur chambre est d’une propreté parfaite, mais tout ameublement en a disparu : il ne reste plus qu’une rangée de pots de fleurs sur la fenêtre, seuls objets refusés au mont-de-piété. Quelques géraniums qui les habitent semblent dépérir comme leurs maîtresses. Celles-ci n’ont pas eu d’ouvrage depuis un an; avec la faim est venue la maladie, et cependant il faut un homme qui leur inspire toute confiance pour leur arracher un demi-aveu de leur misère. Il serait facile de multiplier des exemples semblables, recueillis dans cette visite; mais il n’en faut pas davantage, je crois, pour prouver que si, à l’honneur de la charité anglaise, cette population est soutenue, si elle vit, dans le sens le plus restreint de ce mot, en attendant un temps meilleur, les souffrances ne lui sont cependant pas épargnées. C’est, il me semble, une réponse suffisante à ceux dont j’ai parlé au début, qui croyaient les ouvriers plus heureux aujourd’hui qu’avant le chômage, et disposés à profiter de cette situation plutôt que de retourner à la manufacture lorsque l’occasion s’en présentait.

Sans doute il est moins pénible d’aller passer cinq heures à l’école que de se rendre à cinq heures et demie à la filature pour en revenir à six heures du soir ; mais quelle différence dans le salaire ! Pouvait-on, dans les écoles, demander davantage à des gens auxquels l’on donne 2 shillings par semaine au lieu de 15 ou 20 shillings qu’ils gagnaient autrefois? Il faut d’ailleurs savoir quel était ce travail qui leur était quelquefois offert. Sans doute jamais les filateurs n’ont tenté de profiter de leur misère pour obtenir leurs services à prix réduits; mais, ayant reçu de faibles commandes, quelques-uns d’entre eux ont repris le travail un ou deux jours par semaine, pour l’interrompre souvent tout à fait au bout de deux ou trois semaines. On comprendrait que les ouvriers aient eu quelque répugnance à renoncer aux secours assurés du comité pour un travail si faible et