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trop précieux pour que les intéressés songent à y renoncer, lors même qu’il leur impose de difficiles devoirs.

Enfin, une fois les sommes destinées à l’entretien des pauvres recueillies, l’administration des secours est, comme je l’ai dit, confiée au bureau des gardiens. Ces secours sont donnés dans le workhouse, vaste établissement où les pauvres, les vagabonds, les infirmes, les gens sans ouvrage sont reçus, logés et nourris, et où on les fait travailler dans la mesure de leurs forces. Pour éviter que le workhouse, au lieu d’être une dernière ressource pour les malheureux, devienne un asile pour la paresse, la paroisse exige de ceux qu’elle y reçoit le travail dont ils sont capables, et maintient toujours ses secours au-dessous du niveau des salaires. Comme elle n’y reçoit d’ordinaire que des gens déclassés, pour la plupart isolés, sans famille et sans domicile, elle sépare les hommes, les femmes et les enfans, et les soumet à un régime qui se rapproche souvent de celui des maisons de correction.

Mais ce système, nécessaire, je crois, en temps ordinaire, produit de tristes résultats lorsqu’on veut l’appliquer dans des circonstances exceptionnelles. Ainsi l’on peut affirmer qu’en Irlande il a complètement détruit le bon effet qu’aurait pu produire la libéralité de l’Angleterre au moment de la famine. Le cultivateur ou l’ouvrier laborieux, réduit soudain à la misère par une crise extraordinaire, ne se résigne pas sans humiliation à une vie qui l’assimile presque au criminel. Le pain de la charité publique ne lui est-il pas assez amer déjà? faut-il le lui faire acheter alors au prix de l’abandon de la vie de famille? Quand on a visité les workhouses irlandais, on ne saurait oublier l’aspect de tristesse et les paroles de haine de ces pauvres Irlandaises séparées de leurs maris et de leurs enfans, ni les cruelles privations auxquelles le paysan irlandais se soumet plutôt que d’abandonner sa pauvre chaumière et son intérieur. Les Anglais ont profité de cette expérience ; ce qu’ils n’ont pas su faire en Irlande, ils l’ont fait dans leurs grands centres manufacturiers. Là les gardiens sont spécialement dispensés par un acte du parlement de l’obligation de ne distribuer de secours que dans les workhouses; ils y jouissent de la plus grande liberté d’action. Outre les pauvres ordinaires qu’ils logent et occupent dans le workhouse, ils peuvent faire travailler dans leurs ateliers d’autres pauvres qui conservent leur domicile, et même les secourir chez eux sans exiger en retour aucun travail. Pour s’adresser à eux, le pauvre n’est pas obligé d’être réduit à cet état de misère où il a perdu jusqu’à son foyer et engagé tout ce qu’il possédait.

De là deux systèmes différens de secours. Les indigens que leur faiblesse, leur âge, ou les habitudes de leur vie rendent incapables de travail, trouvent un asile dans le workhouse. Dans les grandes