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été au plus pressé et avoir assuré à cette population les moyens d’existence dont elle avait été subitement privée, les hommes intelligens qui se sont chargés de cette noble tâche s’efforcent de faire sortir un bien durable d’un malheur passager, et d’employer les amers loisirs du chômage à répandre parmi les ouvriers et les ouvrières l’instruction qui leur manquait trop souvent.


III.. — SECOURS PARTICULIERS. — LES FILATEURS, LEUR CONDUITE ET LEUR SITUATION.

Tout le monde a entendu parler de ce meeting du comté de Lancastre réuni pour répondre aux accusations d’indifférence portées par la presse anglaise contre les principaux propriétaires des districts cotonniers, et où ils souscrivirent séance tenante pour une somme de 50,000 liv. sterl., ou 1,250,000 fr.[1]. La réponse était péremptoire et suffisante, ce me semble; lord Derby y joignit l’action de sa parole, et dans un discours que j’ai déjà cité, pour justifier les propriétaires et particulièrement les filateurs, il donna un aperçu de tout ce qu’ils avaient fait pour les ouvriers antérieurement à la souscription.

Il est impossible d’estimer en chiffres ce que la charité particulière a directement accompli dans cette crise; mais elle y a joué un rôle trop important pour qu’on puisse négliger d’en parler et de donner par quelques exemples une idée de la situation des filateurs, sur lesquels retomba naturellement tout d’abord le fardeau de la misère des ouvriers, au moment où eux-mêmes voyaient la crise tarir toutes leurs ressources. En effet, tandis qu’elle les obligeait à fermer leurs ateliers, la crise élevait, au lieu de les diminuer, les charges dont étaient grevées leurs propriétés désormais improductives. La taxe des pauvres est imposée aux manufactures, qu’elles travaillent ou non, tant que les machines sont en place. Enlever les machines pour se soustraire à la taxe eût été une opération très dispendieuse, et pour le crédit de l’établissement presque l’équivalent d’une faillite. On ne pouvait songer, dans l’état du marché, à donner des secours aux ouvriers en continuant de travailler avec perte. La quantité de coton nécessaire simplement pour remplir les machines et les mettre en mouvement représenterait dans certaines filatures une valeur de 7 et 8,000 liv. sterl. ou 175 et 200,000 fr. aux prix actuels. La moindre fluctuation dans les prix de cette marchandise suffirait pour faire perdre aux propriétaires des sommes capables de soutenir tous leurs ouvriers durant plusieurs semaines. Ils ont avec

  1. La publication des souscriptions reçues par le comité central prouve que, sur le total de 593,404 livres, le Lancashire a fourni 258,769 liv. ou 6,469,225 francs, et sans doute il a contribué pour plus des deux tiers aux 230,000 livres recueillies par les comités locaux.