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alors obligé de modifier ses dons, de les refuser au district avantagé afin de réparer autant que possible une inégalité de répartition. Un exemple de ces largesses, qu’on ne saurait peut-être complètement approuver, c’est le dîner de Noël que le lord-maire a voulu donner à tous les individus actuellement secourus d’une manière ou d’une autre. Rien de plus louable au fond que le sentiment cordial qui a, en cette circonstance, animé le lord-maire; rien de plus naturel, surtout dans les idées anglaises, que de procurer à tous ces infortunés une joyeuse soirée pour cette fête populaire; rien de plus modeste qu’un dîner à 8 deniers (17 sous) par tête. Mais avait-on songé qu’à côté de ces cent mille familles actuellement secourues il y en a d’autres, et par milliers, qui n’ont pas encore eu recours à la charité publique et ne subsistent sur leurs salaires réduits qu’à force de gêne et de privations? N’était-il pas injuste de donner aux premières le classique pudding de Noël, tandis que les autres en étaient privées? Et d’ailleurs ce modeste dîner coûte, dit-on, 15 ou 18,000 livres; à 8 deniers par tête, on aurait pu nourrir pendant deux jours de plus toute cette population. Avait-on le droit de prélever cette somme sur une souscription qui, une fois versée, doit être considérée comme le bien des pauvres, et les sombres perspectives de l’avenir permettaient-elles de leur faire, peut-être à leurs propres dépens, cette libéralité? Voilà ce que dit la froide logique de la raison. Le lord-maire n’a écouté que la voix du sentiment. Ce n’est pas nous qui aurons le courage de lui donner tort.

Il faut bien apprécier les devoirs et la véritable mission de la charité dans ces circonstances. Des personnes de bonne foi, mais à notre avis mal inspirées en cette occasion, se sont plaintes au nom des intérêts publics de l’abondance des secours; elles se sont figuré que les ouvriers étaient plus heureux maintenant qu’avant la crise, et elles ont exprimé la crainte qu’on ne les dégoûtât ainsi du travail. Leurs appréhensions n’étaient point fondées, et nous n’aurons pas de peine à démontrer bientôt qu’elles sont démenties par les faits. Cependant ce scrupule alarmé n’était au fond que la déviation d’une idée juste; élever les secours à un taux approchant de celui des salaires, c’eût été encourager les ouvriers à la désertion des ateliers, c’eût été aux yeux des Anglais porter atteinte aux sentimens d’indépendance des ouvriers, c’eût été surtout les exposer à se méprendre sur la portée des secours et à y voir une compensation de la perte de leurs salaires, au lieu d’une dernière ressource à laquelle ils ne doivent songer que dans l’impossibilité de se suffire à eux-mêmes.

C’est pour éviter ce danger et ne pas dénaturer la mission charitable qui lui est confiée que le comité a fixé ce taux de 2 shil-