Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matin, et j’espère bien que je le tuerai. Si au contraire je suis tué, j’ai en partie réparé ma faute, puisque, en vous prévenant de ce que j’ai fait, je vous ai mis sur vos gardes.

— Ernest, dit tout à coup Clémentine, mes pressentimens ne m’avaient pas trompée. Il n’est pas parti et m’aura cherchée. Il faut que je rentre au plus vite. Emmenez-moi, emmenez-moi.

Elle mit à la hâte son châle et son chapeau. Ernest l’aidait. Roger les regardait avec tristesse. — Ah ! se dit-il, ils n’auront pas un mot pour moi. C’est juste d’ailleurs. Ne suis-je point la cause de ce qu’ils souffrent? Ils devraient plutôt m’accuser, et ils ne le font pas.

À ce moment même, on entendit dans le corridor un bruit de pas et de voix.

— N’est-ce point au numéro 6 qu’est entré ce monsieur ? disait un garçon.

— Quel monsieur? répondit celui de ses camarades qu’il interrogeait.

— Ce monsieur chauve qui dînait en bas.

— Oui, pourquoi?

— C’est que voilà un monsieur qui désirerait lui parler.

— Mais c’est qu’il n’est pas seul dans ce cabinet. Il est avec un monsieur et une dame.

— On me l’a déjà dit, reprit d’une voix calme et polie la personne qui voulait voir Roger. Je connais ce monsieur et cette dame, ce sont mes amis.

Le garçon, qui avait hésité jusque-là, ne fit plus d’objection. — Comment s’appelle monsieur? demanda-t-il.

— M. de Pernon... Mais c’est inutile.

Il ouvrit en effet lui-même la porte du cabinet et la referma sur lui. En l’apercevant, Clémentine, toute pâle et toute frissonnante, s’était reculée jusqu’à l’angle du mur. Ernest s’était placé devant elle prêt à la défendre. Roger se tenait effaré entre eux et le mari. C’est à lui que M. de Pernon s’adressa tout d’abord.

— On a certes beaucoup de peine à vous trouver, monsieur, dit-il. Cependant, à votre hôtel, on m’a dit que vous aviez déjeuné ici ce matin, et j’ai pensé que vous pouviez y dîner ce soir. Je vous cherchais pour vous prier de vouloir bien me donner de vive voix les explications que vous vous étiez contenté de me laisser par écrit. Toutefois, si vous le permettez, nous remettrons cela à plus tard. J’ignore par quel hasard vous êtes avec ma femme et monsieur; mais précisément à cause de cela les circonstances ne sont plus les mêmes pour moi, et j’ai à m’occuper sur le champ d’une affaire plus grave que la nôtre.

Roger ne répliqua pas. Il semblait ne pas entendre et prononçait