Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ties de l’action où ils étaient engagés, et n’allait-il pas intervenir au moment décisif?

Tout à coup il eut peur. S’il était le moins favorisé dans le duel qui avait lieu le lendemain ! s’il était tué ! Alors, loin de les sauver, c’était peut-être lui qui les perdrait, puisque, par d’imprudentes paroles, il avait fait entrer le soupçon au cœur de celui qui pouvait les surprendre et les punir. Il n’y avait qu’un moyen de les mettre à l’abri, c’était de les avertir du danger qu’il avait attiré sur leurs têtes; mais comment faire? Allait-il donc les rencontrer à l’improviste, et s’il les rencontrait, consentiraient-ils à avoir confiance en lui et à le croire ?

Il s’arrêta, essuya son front couvert de sueur, et, passant subitement d’une extrême agitation à un grand calme, se dit avec une conviction profonde : — Pourquoi pas? Je devine où je puis les trouver, et je les forcerai bien de se rendre à l’évidence.

Pour la première fois depuis qu’il avait quitté la Madeleine, il s’inquiéta de l’endroit où il était. Il avait parcouru toute la longueur des Champs-Elysées, dépassé l’Arc-de-Triomphe, et il entrait dans l’avenue de l’Impératrice. A sa droite, il aperçut la maison de santé du docteur Vermond, grande construction blanche que l’on a démolie, et sourit avec finesse et un peu de dédain en la regardant. Cependant, à la vue de quelques personnes qui en sortaient, il s’éloigna avec une certaine hâte, rajusta les manches de son habit, en épousseta les revers, et se composa un maintien calme et désœuvré pour franchir la grille du bois de Boulogne. Il était alors trois heures de l’après-midi, et les équipages, les piétons encombraient les abords du lac. Roger évita la foule et gagna assez rapidement le côté le moins fréquenté du bois. Au bout d’un quart d’heure, il était arrivé à un petit carrefour où cinq ou six allées convergeaient, les unes réservées aux piétons, les autres accessibles aux voitures. Il constata avec plaisir qu’il pouvait voir dans toutes les directions et que le lieu était désert. — C’est ici qu’ils venaient autrefois, dit-il encore, c’est ici qu’ils doivent venir.

Il s’appuya contre un arbre et attendit. La surexcitation où l’avaient jeté les événemens de la matinée avait cessé, et il agissait avec une remarquable tranquillité. Il ne doutait pas que la réalité ne dût s’accorder, pour les couronner, avec ses secrètes hypothèses. Peut-être, à son insu, raisonnait-il aussi d’après des probabilités moins métaphysiques. Lannoy, — il l’appelait ainsi, ne sachant quel autre nom lui donner, — lui avait semblé prêt à partir pour un voyage. Les amans, s’il existait des amans, devaient naturellement profiter de cette absence pour se voir et pouvaient employer à se promener une partie de la journée. Il y avait alors des chances pour qu’ils choisissent le bois comme but de promenade, et dans